L’effet de cliquet, vous connaissez? C’est un concept amené par Robert Higgs dans son livre Crisis and Leviathan expliquant que la plupart des prises de pouvoir du gouvernement ont été faites dans une situation de crise. Le principe est simple, en réponse à la crise, le gouvernement se sent justifié, voire même pressé, d’agir et d’étendre son pouvoir dans des zones encore vierges de son influence. Une fois la crise terminée, le gouvernement se retire légèrement, sans jamais revenir entièrement au niveau de pouvoir et de contrôle qu’il avait auparavant. À la façon d’un ratchet (clé à cliquet pour les emmerdeurs de l’OQLF), le mouvement du pouvoir avance toujours, sans jamais rebrousser chemin en entièreté.
Un exemple canadien serait l’impôt sur le revenu. Celui-ci devait être une mesure temporaire afin d’aider à rembourser l’effort de guerre en 1917. Cette ponction fiscale devait s’arrêter après le remboursement entier de la dette de guerre. Je ne sais pas vous, mais aux dernières nouvelles, on en paie toujours près de 110 ans plus tard. Un autre exemple est la prise de pouvoir du gouvernement en ce qui a trait par exemple à l’alcool.
La tentation autoritaire
Fait méconnu par plusieurs, il n’y a pas eu de prohibition au Canada. Ça n’a pas empêché les gouvernements d’accroître leur pouvoir en la matière. À défaut d’une interdiction généralisée de vendre des boissons alcoolisées, bien des villes ont décidé d’empêcher la consommation. En 1921, le gouvernement du Québec prit la décision de créer la commission des liqueurs. Ce monopole public, ancêtre de la SAQ, avait pour but de contrôler la quantité d’alcool disponible pour les citoyens. Cette décision peut sembler salvatrice et plus respectueuse des libertés que la prohibition pure et simple. Toutefois, en procédant de manière incrémentale, le Québec a conservé un monopole sur l’alcool jusqu’à aujourd’hui, contrairement aux Américains qui traitent ces substances comme un produit de détail.
Ça fait partie du paradoxe du Québec en matière d’alcool. Une opposition constante entre une tentation autoritaire moralisatrice et un laisser-faire que l’on ne voit pas ailleurs au Canada. D’un côté, nous avons un monopole très contraignant sur la vente d’alcool. De l’autre, nous avons les lois sur la conduite en état d’ébriété les plus laxistes au Canada.
C’est d’ailleurs un cheval de bataille de Monsef Derraji du parti libéral, et ce depuis bien des années. Il désire que le gouvernement abaisse le seuil de tolérance à 0,05 g d’alcool par tranche de 100 ml de sang. Toutes les occasions sont bonnes pour marteler ce message. Prenons l’exemple de ce qui est arrivé récemment dans ma région natale. Un adolescent parti faire un dernier jogging avant son tournoi de hockey de la fin de semaine s’est fait happer par un conducteur potentiellement en état d’ébriété (au moment d’écrire ses lignes). Une histoire si triste que personnellement, je ne crois pas que l’on devrait s’en servir comme moteur politique pour partir en croisade. Les émotions viennent brouiller la réflexion et il devient presque impossible de discuter de l’enjeu sans paraître insensible.
Mais je vais tout de même tenter de mettre mon grain de sel.
La responsabilisation avant la moralisation
Si l’élimination de conduite en état d’ébriété est plus que souhaitable, je me questionne : est-ce que l’approche de la coercition gouvernementale est la bonne? Je vous ai déjà parlé du principe de Pareto, que certains appellent le 80/20. Si vous me le permettez, je vais faire un petit exercice théorique, les chiffres réels étant relativement difficiles à obtenir.
Une application théorique du principe dans ce cas-ci, serait qu’en imposant la limite à 0,08 et en s’assurant de son respect, on pourrait argumenter qu’une réduction de 80 % des cas de conduite en état d’ébriété a été atteinte avec 20 % d’effort. Faisons l’effort de penser un peu plus loin. Quelles seraient les sommes et le temps à investir afin d’atteindre une baisse de 100 %? La réponse est presque incalculable.
Abaisser le seuil à 0,05 apparaît alors comme une façon simple et économique d’atteindre une réduction. Cette apparente simplicité est cependant trompeuse. Des sommes faramineuses devront être consacrées au respect de la nouvelle consigne. Et ultimement, cette mesure aura un effet moralisateur sur le comportement des gens et le gouvernement encourage indirectement la déresponsabilisation avec l’assurance sans-égard à la responsabilité. Après tout, quel est l’incitatif à agir de façon responsable si un autre porte le coût de ton erreur?
Une façon de diminuer à la fois les coûts pour atteindre une diminution des cas de conduite en état d’ébriété et encouragerait la responsabilisation des conducteurs serait une modification de la loi sur l’assurance automobile au Québec. On pourrait s’inspirer du modèle allemand pour des cas comme celui-ci. Tu peux conduire avec une quantité d’alcool inférieure à la limite sans infraction, mais dès que tu es impliqué dans un accident sous influence, tu es déclaré responsable peu importe la circonstance. C’est donc le conducteur alcoolisé qui devrait payer pour les impacts négatifs de cette mauvaise décision. Ce changement inciterait le conducteur à faire plus attention à sa consommation lorsqu’il prévoit prendre la route.
Ça n’empêche pas de faire des opérations policières préventives et ça retourne le coût d’un mauvais comportement vers celui qui le perpétue plutôt qu’envers la société dans son ensemble. Ça responsabilise les individus sans avoir à agir en état moralisateur envers eux.
La responsabilité : le prix à payer pour la liberté
Ce n’est pas en bétonnant chaque parcelle de liberté avec de nouvelles lois que l’on prévient les accidents de la vie. C’est en rappelant que la liberté réelle vient avec un prix : celui de porter ses erreurs sur ses propres épaules. La responsabilisation n’est pas seulement une solution plus juste, c’est aussi la seule voie durable pour une société qui veut rester libre.
Ça demande cependant une maturité et une croyance en la capacité des individus à se gouverner par eux-mêmes.