Lundi, novembre 3, 2025

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Le Sénat américain défie Trump sur les tarifs

Le Sénat américain a adopté trois résolutions historiques entre le 28 et le 30 octobre 2025 visant à annuler les déclarations d’urgence nationale utilisées par le président Donald Trump pour imposer des tarifs douaniers. Bien que ces votes soient largement symboliques et n’entraîneront probablement pas de changements concrets, ils révèlent des fractures importantes au sein du Parti républicain et surviennent alors qu’une bataille juridique cruciale se prépare devant la Cour suprême.

Les trois résolutions adoptées par le Sénat

Le Sénat a voté sur trois résolutions distinctes en l’espace de trois jours. Le 28 octobre, une première résolution (S.J.Res. 81) a été adoptée par 52 voix contre 48 pour annuler les tarifs sur les importations brésiliennes. Le lendemain, une deuxième résolution (S.J.Res. 77) ciblant les tarifs sur le Canada a été approuvée par 50 voix contre 46. Enfin, le 30 octobre, le Sénat a voté 51 contre 47 pour éliminer les tarifs « réciproques » mondiaux imposés en avril 2025 à plus de 180 pays.

Ces trois votes ont été rendus possibles grâce à l’appui de quatre sénateurs républicains : Susan Collins (Maine), Lisa Murkowski (Alaska), Mitch McConnell (Kentucky) et Rand Paul (Kentucky), qui ont franchi les lignes partisanes pour voter avec les démocrates. Pour le vote sur le Brésil, un cinquième républicain, Thom Tillis (Caroline du Nord), s’est joint à eux.

Une portée symbolique mais limitée

Malgré l’adoption de ces trois résolutions par le Sénat, leur impact concret sera probablement nul. Le président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, a mis en place une règle spéciale en septembre 2025 qui empêche ces résolutions d’être mises aux voix à la Chambre avant mars 2026. Même si elles parvenaient à être votées à la Chambre, Trump pourrait simplement exercer son droit de veto.

Le sénateur démocrate Tim Kaine, de Virginie, qui a poussé pour ces résolutions, reconnaît leur nature symbolique mais estime qu’elles servent à exposer les divisions au sein du Parti républicain. « Il leur sera impossible de fermer les yeux et de dire: ‘Je suis d’accord avec tout ce que le président veut faire' », a-t-il déclaré aux journalistes. Les démocrates ont également présenté les droits de douane comme une taxe imposée aux Américains de la classe moyenne, la sénatrice Amy Klobuchar affirmant que « les droits de douane imposés par Trump représentent une taxe de près de 2 000 dollars pour les familles américaines ».

Certains analystes suggèrent que ces votes pourraient néanmoins envoyer un message à la Cour suprême, qui doit se prononcer sur la légalité des tarifs. Plus de 200 démocrates des deux chambres, ainsi que la sénatrice républicaine Lisa Murkowski, ont déposé un mémoire devant la Cour suprême affirmant que la loi d’urgence n’autorise pas le président à utiliser les tarifs comme levier dans les négociations commerciales.

Les divisions républicaines sur le commerce

Ces votes révèlent des fractures au sein du Parti républicain concernant la politique commerciale de Trump. Historiquement, les républicains ont soutenu des arguments en faveur du libre-échange, mais l’approche protectionniste de Trump a créé des tensions.

Les quatre républicains ayant voté contre les tarifs ont des motivations diverses. Mitch McConnell et Rand Paul, tous deux du Kentucky, sont préoccupés par l’augmentation des coûts dans le secteur manufacturier et par l’interdiction canadienne du bourbon, une exportation importante pour leur État. Susan Collins du Maine a souligné comment les économies des deux pays sont « entrelacées », tandis que Lisa Murkowski de l’Alaska a déclaré que le Canada est leur voisin le plus accessible et une source vitale de biens.

Ces votes marquent la troisième fois que le Sénat contrôlé par les républicains désavoue Trump sur la question des tarifs, après un premier vote en avril 2025. Toutefois, ces divisions restent limitées. Seule une poignée de républicains ont franchi les lignes partisanes, et la majorité du parti continue de soutenir le président. De plus, le blocage des résolutions à la Chambre des représentants démontre que le leadership républicain empêche toute contestation sérieuse de la politique tarifaire de Trump.

Le fondement juridique : la National Emergencies Act

Les résolutions du Sénat s’appuient sur la National Emergencies Act (NEA), une loi adoptée en 1976 qui permet au Congrès de bloquer les pouvoirs d’urgence d’un président. Cette législation a été conçue dans les années 1970, après le Vietnam et le Watergate, pour limiter l’expansion des pouvoirs exécutifs que le Congrès jugeait excessive.

La NEA impose des exigences de notification au président et crée des mécanismes pour mettre fin aux urgences déclarées. Toutefois, suite à la décision de la Cour suprême dans l’affaire INS v. Chadha en 1983, le mécanisme de résolution a été modifié pour exiger une « résolution conjointe » plutôt qu’une « résolution concurrente », ce qui signifie que le président peut exercer son droit de veto. Pour renverser ce veto, il faudrait une majorité des deux tiers dans les deux chambres du Congrès, un seuil pratiquement impossible à atteindre dans le contexte politique actuel.

Trump a invoqué l’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA) de 1977 pour déclarer des urgences nationales et imposer ses tarifs. En février 2025, il a déclaré une première urgence pour imposer des tarifs de 25% sur la Chine, le Mexique et le Canada, citant le trafic de drogue comme justification. En avril 2025, il a invoqué l’IEEPA une seconde fois pour imposer des tarifs de 10% à 50% sur presque tous les pays, affirmant que le déficit commercial constituait une « menace extraordinaire et inhabituelle ».

La bataille juridique devant la Cour suprême

Une question juridique fondamentale se pose : l’IEEPA autorise-t-elle réellement le président à imposer des tarifs de cette ampleur? Cette question fait actuellement l’objet d’une procédure judiciaire qui pourrait ébranler la pierre angulaire de l’agenda économique de Trump.

Le 28 mai 2025, la Cour du commerce international (Court of International Trade) a statué en faveur d’entreprises américaines qui contestaient l’autorité légale de Trump, concluant que l’IEEPA ne donne pas au président le pouvoir « d’imposer des tarifs illimités sur les marchandises de presque tous les pays du monde ». Le 29 août 2025, la Cour d’appel du circuit fédéral a confirmé cette décision par un vote de 7 contre 4, affirmant que Trump avait excédé l’autorité qui lui était accordée sous l’IEEPA.

Les critiques soutiennent que, bien que la loi permette au président de « réglementer » le commerce, elle ne mentionne pas spécifiquement les « tarifs », et que l’établissement de taxes relève exclusivement du Congrès selon la Constitution américaine. L’article I, section 8 de la Constitution accorde au Congrès le pouvoir d’imposer des tarifs. Les tribunaux ont également invoqué la doctrine des « questions majeures » de la Cour suprême, qui stipule que lorsque le Congrès délègue des pouvoirs d’une « vaste importance économique et politique », il doit « s’exprimer clairement ». Or, la liste des pouvoirs présidentiels dans l’IEEPA ne comprend pas les mots « tarifs » ou « droits de douane ».

La Cour suprême a accepté d’entendre cette affaire en procédure accélérée le 9 septembre 2025, avec des arguments oraux prévus pour la première semaine de novembre. Une décision pourrait être rendue d’ici la fin de l’année 2025. Ce jugement aura des implications majeures non seulement pour la politique économique de Trump, mais aussi pour l’étendue des pouvoirs exécutifs dans un contexte où ceux-ci n’ont cessé de s’étendre.

Les implications économiques pour le Canada

Pour le Canada, les tarifs imposés par Trump depuis mars 2025 ont eu des conséquences économiques tangibles. L’économie canadienne s’est contractée de 1,6% au deuxième trimestre de 2025, et les exportations ont chuté de 7,5% durant la même période, représentant la plus forte baisse trimestrielle depuis 2009. Les secteurs de l’acier, de l’aluminium et de l’automobile ont été particulièrement touchés, entraînant des baisses dans le secteur manufacturier et une stagnation de l’emploi.

Cependant, le Canada a techniquement évité la récession au troisième trimestre grâce notamment à l’exemption USMCA accordée en septembre 2025, qui permet à plus de 85% du commerce Canada-États-Unis de demeurer libre de tarifs. Malgré cette résilience relative, la Banque du Canada estime qu’une guerre commerciale prolongée pourrait réduire le PIB canadien de 2,5%, et certaines régions ontariennes pourraient connaître des « récessions localisées ». Les consommateurs canadiens ont également ressenti l’impact des tarifs et des contre-mesures à travers des hausses de prix sur les voitures neuves, les vêtements, les appareils ménagers et certains produits d’épicerie.

Conclusion

Les votes du Sénat contre les tarifs de Trump représentent un geste politique significatif mais largement symbolique. Bien qu’ils ne changeront probablement pas la politique commerciale actuelle à court terme, ils exposent des tensions au sein du Parti républicain et pourraient influencer la Cour suprême dans sa décision imminente. La bataille juridique en cours déterminera si Trump a réellement l’autorité constitutionnelle pour imposer ces tarifs sous couvert d’urgence nationale, une question qui aura des répercussions majeures sur l’équilibre des pouvoirs entre le Congrès et la présidence pour les décennies à venir. Pour le Canada et les autres partenaires commerciaux des États-Unis, l’incertitude demeure quant à l’avenir de ces tarifs et leurs impacts économiques considérables.

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Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier est journaliste pour PiluleRouge.ca. Passionné de politique depuis plus de dix ans, il s'est impliqué à plusieurs reprises sur la scène provinciale. Entrepreneur en informatique, il allie rigueur journalistique et regard critique sur l’actualité. Son approche analytique et son sens de l’humour apportent une perspective unique aux sujets qu’il couvre.

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