Non, ce texte n’est pas une ode au progrès sociétal radical ni une réflexion sur la parentalité inclusive. Il s’agit plutôt ici d’une exploration rigoureuse d’une technique médicale visant à prévenir des maladies graves liées à l’ADN mitochondrial. Pas de militantisme, juste de la science.
Les maladies mitochondriales : des troubles graves et souvent incurables
Les maladies mitochondriales forment un groupe complexe de pathologies causées par des défaillances dans le fonctionnement des mitochondries, ces minuscules structures présentes dans presque toutes les cellules de notre corps. Elles touchent environ une naissance sur 5 000 à 10 000 et peuvent provoquer des symptômes allant de la faiblesse musculaire à la cécité, en passant par des défaillances multiorganiques. Certains enfants affectés meurent avant l’âge de dix ans, souvent faute de traitement curatif.
Ce qui rend ces maladies particulièrement complexes, c’est qu’elles affectent les cellules à un niveau fondamental : leur capacité à produire de l’énergie. En effet, les mitochondries sont communément surnommées les « centrales énergétiques » des cellules. Lorsqu’elles ne fonctionnent pas correctement, les organes qui demandent beaucoup d’énergie — comme le cerveau, le cœur et les muscles — sont les premiers à en subir les conséquences. Les troubles varient largement en gravité et en type, car les mutations peuvent être hétérogènes et leur expression influencée par le degré de mutation (hétéroplasmie) dans l’organisme.
Les maladies mitochondriales sont principalement transmises par la mère, car l’ADN mitochondrial (ADNmt) est hérité uniquement par voie maternelle. Ainsi, une femme porteuse de mutations dans son ADNmt peut, même sans symptômes visibles, transmettre la maladie à ses enfants. Cela a motivé les chercheurs à explorer des stratégies radicales pour prévenir cette transmission.
Les mitochondries : origine, rôle et spécificité génétique
Les mitochondries sont des organites cellulaires essentiels à la vie, chargés de produire l’adénosine triphosphate (ATP), la principale source d’énergie des cellules. Leur origine remonte à des milliards d’années, selon la théorie de l’endosymbiose : une cellule primitive aurait « avalé » une bactérie capable de produire de l’énergie, établissant une relation symbiotique qui a perduré dans toutes les cellules animales.
Contrairement au noyau, qui contient la grande majorité de l’ADN humain (environ 20 000 gènes), les mitochondries possèdent leur propre ADN circulaire, composé d’environ 37 gènes. Bien que cela semble négligeable, ces gènes sont cruciaux pour le bon fonctionnement de la chaîne respiratoire mitochondriale, essentielle à la production d’énergie.
La particularité de l’ADNmt est son mode de transmission exclusivement maternel. Lors de la fécondation, seul le cytoplasme (et donc les mitochondries) de l’ovule est conservé ; les mitochondries du spermatozoïde sont rapidement dégradées. Ce mode de transmission unique rend les maladies mitochondriales particulièrement complexes à éradiquer par les moyens traditionnels de la médecine génétique.
La technique des trois parents : une réponse innovante aux maladies mitochondriales
Face à ces défis, les chercheurs ont mis au point une technologie révolutionnaire : le transfert mitochondrial, plus communément appelé technique des trois parents. L’objectif est simple : permettre à une femme porteuse de mutations pathogènes dans son ADNmt de donner naissance à un enfant biologiquement sien, sans transmettre la maladie.
La technique consiste à transférer le noyau d’un ovule de la mère (porteur d’ADN nucléaire sain, mais d’ADNmt défectueux) dans un ovule d’une donneuse dont l’ADNmt est sain, mais dont le noyau a été retiré. Cet ovule reconstitué est ensuite fécondé par le spermatozoïde du père. Le résultat : un embryon possédant l’ADN nucléaire de ses deux parents biologiques, et l’ADNmt d’une troisième personne — la donneuse. D’où l’appellation populaire de « bébé à trois parents ».
Il existe deux principales techniques de transfert mitochondrial :
- Le transfert pronucléaire : après fécondation, les noyaux des embryons (un sain de la donneuse, un pathogène de la mère) sont échangés.
- Le transfert de noyau d’ovocyte : avant fécondation, le noyau de l’ovocyte de la mère est transféré dans un ovocyte énucléé de la donneuse.
Ces méthodes ont donné lieu à des naissances humaines, notamment au Royaume-Uni et en Ukraine. En 2023, la Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA) a confirmé qu’au moins une vingtaine d’enfants étaient nés grâce à cette technique au Royaume-Uni.
Les défis scientifiques et éthiques de la triparentalité
Le risque de réversion génétique
Malgré les promesses de cette technologie, des études récentes soulignent des risques potentiels préoccupants. L’un des principaux est celui du reflux ou de la réversion de l’ADNmt de la mère. Même une infime quantité de mitochondries défectueuses peut, dans certains cas, proliférer de façon dominante dans certaines cellules ou organes de l’enfant.
Les limites techniques
Il est pratiquement impossible d’éliminer toute trace de mitochondries maternelles. Cette persistance pourrait poser des problèmes si les mitochondries défectueuses interagissent négativement avec l’ADN nucléaire. La compatibilité entre ADN nucléaire et mitochondrial pourrait influencer des fonctions aussi fondamentales que le métabolisme ou l’immunité.
Les enjeux éthiques
Au-delà des aspects biologiques, cette technique soulève d’importants débats éthiques :
- Modification héréditaire de l’embryon
- Rôle moral de la donneuse
- Risque de glissement vers des usages non thérapeutiques (eugénisme, optimisation génétique)
Le cadre légal
Dans plusieurs pays, la technique demeure interdite ou strictement encadrée. Au Canada, la Loi sur la procréation assistée interdit toute modification génétique transmissible. Aux États-Unis, la FDA bloque les essais cliniques impliquant des modifications de l’ADNmt.
Vers un avenir thérapeutique plus sûr ?
La technique des trois parents offre un espoir réel pour les familles touchées par des maladies mitochondriales, mais elle demeure une technologie jeune, encadrée, controversée et techniquement imparfaite. Les recherches continuent pour en augmenter la sécurité et mieux comprendre ses conséquences à long terme. La triparentalité incarne les promesses de la médecine moderne, mais aussi ses défis éthiques les plus pressants.