On peut multiplier les plans d’action et les conférences de presse, rien n’y fait. Le Canada dépense comme un champion pour la santé, mais livre des résultats de bas de tableau. Le Québec, partie intégrante de ce modèle, porte les mêmes symptômes. Le dernier rapport comparatif du Fraser Institute sur les pays à couverture universelle ramène à l’essentiel. Ajustées pour l’âge, nos dépenses figurent tout en haut. La disponibilité des ressources, des médecins aux lits en passant par l’imagerie, se situe plutôt au fond du classement. Les délais pour voir un spécialiste ou obtenir une chirurgie non urgente comptent parmi les plus longs de l’OCDE. En clair, nous payons le prix fort pour un accès lent et parcimonieux.
La tentation est grande d’invoquer l’immensité du pays, le vieillissement, ou quelque pénurie mystérieuse. Le rapport neutralise déjà ces excuses en ajustant pour la structure démographique. Le problème ne vient pas d’une fatalité géographique, mais d’un design institutionnel. Au Québec, nous avons confondu universalité et monopole. L’universalité, c’est la promesse qu’un citoyen, riche ou pauvre, obtient des soins assurés. Le monopole, c’est l’acheteur unique, la hiérarchie budgétaire qui ne suit pas le patient, la gouvernance par silos et la culture administrative qui traite l’hôpital comme un service du ministère. Quand l’argent n’accompagne pas le malade, il se perd dans la tuyauterie. Quand on finance des enveloppes plutôt que des épisodes de soins, on rationne par l’attente. Quand la fonction des ressources humaines devient une police du formulaire et de la procédure, on assèche l’initiative clinique.
Les chiffres confirment ce que les salles d’attente racontent depuis des années. Trop peu de médecins en pratique active par habitant. Trop peu de lits somatiques. Trop peu de scanners et d’IRM. Des files qui s’allongent et un état d’esprit où l’on préfère protéger la mécanique plutôt que le résultat. Le Québec traîne un vieux réflexe d’agro catholicisme administratif. On sacralise la pureté des intentions publiques, on déteste mesurer la valeur concrète livrée au citoyen, on se félicite entre initiés dans un cercle clos. Cette culture du ritualisme produit une anesthésie douce qui coûte cher en argent, en santé et en confiance.
La réalité gênante, c’est que plusieurs pays universels font mieux sans renier l’équité. Ils conservent la couverture publique, mais organisent la prestation autrement. L’argent suit le patient. Les établissements sont réellement autonomes et responsables de leurs délais, de leur qualité, de leurs coûts. Les soignants ont des incitatifs clairs pour voir plus de monde plus rapidement. La mixité des prestataires n’est pas un tabou. Le patient choisit, les résultats sont publiés, et l’acheteur public cesse de microgérer les opérations pour se concentrer sur les contrats et la reddition de comptes. Notre modèle, lui, privilégie la conformité. Et la conformité, on ne la soigne jamais assez.
On entend invariablement les mêmes objections. Le privé va cannibaliser le public. Ce serait un manque pur et simple de ressources. L’universalité serait menacée. En vérité, le privé cannibalise déjà le public, mais ailleurs, quand des patients désespérés vont payer à Boston ou à Miami. Le manque de ressources est une conséquence du mode de financement, pas sa cause. Nous sommes parmi les plus grands dépensiers et pourtant parmi les moins bien dotés en capacité utile. Ce paradoxe n’existe pas dans les systèmes où l’on paie à l’activité, où l’on achète des résultats plutôt que de colmater des chapitres budgétaires. Quant à l’universalité, elle tient à qui paie, non à qui opère. C’est l’assureur public qui garantit l’accès, pas le statut de l’immeuble où l’on reçoit les soins.
Ce qu’il faut au Québec n’est pas un plan d’optimisation de plus, c’est un changement de contrat. L’argent doit accompagner le patient du cabinet au bloc opératoire. Les hôpitaux doivent cesser d’être des directions et devenir des entreprises de santé redevables de leurs résultats. La médecine de famille doit être rémunérée pour l’accès et suivie sur des indicateurs d’inscription, de disponibilité et d’épisodes réglés. Les cloisons entre réseaux doivent tomber, de sorte que l’orthopédie ambulatoire, l’imagerie et les chirurgies d’un jour puissent être réalisées dans des plateaux accrédités payés à l’acte public. Les ressources humaines doivent retrouver leur raison d’être, attirer et garder les cliniciens, offrir des horaires négociés sur le plancher, déléguer davantage d’actes aux IPS et aux pharmaciens, et mettre fin à la religion de la note de service.
Il faut également une garantie d’accès qui ne se contente pas de promesses. Des délais maximums par filière doivent être opposables. Si l’hôpital A dépasse le seuil, le régime public achète la procédure chez l’hôpital B ou chez un prestataire accrédité, sans frais pour le patient, sans contorsion idéologique. Seule une contrainte exécutoire brisera la routine du report éternel. À cette garantie doit s’ajouter une transparence radicale. Délais, complications, réadmissions, expérience patient, tout doit être publié par établissement, en temps quasi réel. Sans miroir, une culture se maintient dans le déni. Avec un miroir, elle change.
Reste la question des professionnels. L’obligation de loyauté exclusive est une impasse. Permettre des carrières mixtes, fluidifier les trajectoires, reconnaître la valeur plutôt que le statut, voilà ce qui élargit la capacité sans épuiser les équipes. Et il faut le dire sans tourner autour du pot. La couche procédurière des ressources humaines, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, est devenue un système immunitaire contre l’audace. Elle étouffe l’innovation, décourage la responsabilité, promeut la réunion plutôt que l’action. La bienveillance proclamée n’est pas la performance exigée. On confond climat et mission. On protège des processus au lieu de protéger des patients.
Ce programme peut sembler ambitieux. Il est en fait modeste. Il ne demande pas de renier l’universalité, mais de l’accomplir. Il ne réclame pas de nouveaux milliards, mais de changer la trajectoire d’argent qui s’évapore entre la décision et le soin. Il ne suppose pas que le secteur public est mauvais et le secteur privé vertueux. Il affirme qu’une pluralité de prestataires, encadrés par des règles simples et mesurés sur des résultats, est plus robuste qu’un monopole confortable. Les Québécois ne veulent pas d’une grande bataille idéologique. Ils veulent que leur enfant obtienne un rendez-vous, que leur parent fragile ait une imagerie rapidement, que leur genou soit opéré dans des délais humains.
Le rapport 2025 agit ici comme un révélateur. Il met fin à l’alibi du manque d’argent. Il dissipe l’idée que l’attente serait un prix moralement noble à payer pour l’équité. Il montre que les systèmes universels performants ne prêchent pas la vertu, ils organisent la responsabilité. Nous avons passé des années à gouverner la santé par la note explicative et la campagne de communication. Le temps est venu de la gouverner par le contrat et le tableau de bord.
Le Québec aime se voir comme une société solidaire. Il est temps de prouver que la solidarité ne consiste pas à défendre une architecture, mais à livrer un accès réel. Une société solidaire ne laisse pas la veuve attendre quatre mois pour une IRM. Elle ne demande pas au travailleur de planifier sa chirurgie comme on planifie un héritage. Elle ne mesure pas son humanisme au nombre de comités, mais au nombre d’heures d’attente qu’elle supprime.
Nous n’avons plus le luxe des demi-gestes. Le vieillissement s’accélère, la productivité vacille, la fiscalité ne peut pas éternellement absorber le coût d’un modèle qui gaspille l’effort collectif. Nous pouvons continuer à célébrer nos intentions et accabler nos salles d’attente. Ou nous pouvons choisir la liberté d’organiser l’universalité intelligemment, avec un argent qui suit le malade, des établissements qui répondent de leurs résultats, une culture clinique libérée de la paperasse et une transparence qui ne ment pas.
Les Québécois sont mûrs pour ce pari. Ils ont compris que l’État protecteur protège trop souvent sa propre mécanique. Ils demandent un État acheteur exigeant, un réseau autonome et responsable, un accès garanti qui ne se discute pas. Voilà le vrai progrès. Tout le reste n’est que rhétorique.
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Samuel Rasmussen, alias Le Blond Modéré, est membre des Trois Afueras et collaborateur du podcast Ian & Frank. Titulaire d'une formation en relations internationales à l'Université de Sherbrooke, il s'intéresse particulièrement à la géopolitique, aux zones d'influence et aux différentes formes de pouvoir.