Alors que les ratés coûteux de SAAQclic ont échaudé les contribuables, un nouveau projet numérique gouvernemental se prépare en coulisses. Dès le 31 janvier 2026, la Régie de l’énergie prévoit lancer « Prix Essence Québec », une plateforme de surveillance censée assurer la transparence à la pompe. Or, des documents obtenus par accès à l’information révèlent une planification technique défaillante et une lourdeur bureaucratique surprenante pour un outil que le secteur privé offre déjà gratuitement.
Ce chantier découle d’une obligation inscrite dans le projet de loi 69 : contraindre les quelque 2 800 stations-service de la province à transmettre leurs prix en temps réel à l’État. L’objectif est d’alimenter une carte interactive officielle sur le site de la Régie.
Pourtant, l’analyse des contrats et de la correspondance administrative soulève de sérieuses questions sur la pertinence et la rigueur budgétaire de cette initiative.
Une concurrence ignorée par l’État
Pour l’automobiliste québécois, comparer le prix du carburant est une habitude déjà ancrée grâce à des outils comme Google Maps, Waze ou GasBuddy. Ces applications offrent une précision suffisante pour le quotidien, sans coûter un sou aux fonds publics.
L’État a-t-il vérifié si le besoin était déjà comblé avant d’investir? La réponse est non. Dans une réponse officielle, la Régie de l’énergie a admis ne détenir « aucun document de comparatif de marché » ou d’analyse concurrentielle concernant des outils comme GasBuddy. Le gouvernement finance donc le développement d’un outil concurrent au secteur privé sans avoir documenté sa valeur ajoutée réelle.
Un oubli technique à 44 000 $
Le contrat initial de services professionnels, signé en juin 2025, prévoyait un montant forfaitaire de 132 665 $ pour la création du portail. Mais la réalité du terrain a rapidement rattrapé les concepteurs.
La portée initiale du projet exigeait que les mises à jour de prix soient effectuées manuellement, « une station à la fois », via un portail sécurisé. Une méthode bureaucratique lourde et irréaliste pour les grandes bannières gérant des centaines de sites.
Pour corriger le tir, une demande de changement a dû être approuvée en octobre 2025. L’ajout d’une interface de programmation (API) permettant l’automatisation des envois a coûté 44 216 $ supplémentaires. Cet ajustement technique porte la facture totale de développement à près de 177 000 $, une augmentation substantielle avant même la première mise en ligne.
Un site automatisé… sous haute surveillance humaine
Paradoxalement, alors que l’État a payé des frais supplémentaires pour automatiser la collecte de données et que le site est conçu pour fonctionner de manière autonome, la structure de gestion demeure lourde.
Les documents révèlent qu’une équipe interne de sept employés de la Régie est affectée à la réalisation et à la supervision de ce projet. Pour gérer ce site Web, cette équipe est mobilisée à travers trois niveaux de comités : un comité stratégique mensuel, un comité tactique hebdomadaire et des rencontres de suivi quotidiennes.
Une supervision administrative intense pour un outil qui, techniquement, ne fait qu’afficher des données transmises automatiquement par les ordinateurs des stations-service.

Comme l’illustrent les indicateurs bleus ci-dessus, la gestion de ce portail ne relève pas d’une petite équipe technique isolée. Elle mobilise quatre directions stratégiques distinctes au sein de l’organigramme, impliquant une chaîne de décision complexe incluant la haute direction, l’administration et la surveillance économique.
Les coûts cachés de l’infonuagique
À cette masse salariale interne s’ajoutent les coûts d’opération externes. Les documents contractuels précisent que les « coûts d’infrastructure » sont exclus de l’entente de développement.
L’hébergement de la solution sur la plateforme Microsoft Azure, nécessaire pour assurer la sécurité et la disponibilité du site, sera payé directement par la Régie. Avec des exigences techniques pointues — incluant des réseaux privés virtuels et une gestion d’API sécurisée — ces frais récurrents s’ajouteront à la facture année après année.
Surveiller les marges plutôt que les taxes
Au-delà de la technique, ce projet illustre un choix politique. En créant cet outil de surveillance, le gouvernement met l’accent sur la volatilité des marges commerciales des détaillants. Pourtant, une portion massive du prix payé à la pompe est constituée de taxes fixes et de coûts liés au marché du carbone, sur lesquels cet outil n’offre aucune transparence.
La plateforme « Prix Essence Québec » doit être livrée le 31 janvier 2026. Reste à voir si les automobilistes délaisseront leurs applications habituelles pour cet outil officiel, lourdement encadré et financé par leurs impôts.

