Dans Erreur de diagnostic. Le racisme systémique et le Québec, le professeur de philosophie Yannick Lacroix propose une analyse rigoureuse du concept de racisme systémique, qu’il qualifie de notion idéologique plutôt que de réalité objective. Ce n’est pas, dit-il, que ce concept n’a aucune pertinence ni aucun sens ; c’est simplement qu’il ne relève pas d’une théorie scientifique. Ou bien il y a du racisme, et c’est la preuve de l’existence du racisme systémique ; ou bien il n’y en a pas, et c’est tout de même la preuve de son existence, puisque le racisme ne résiderait pas dans les individus, mais dans le « système ».
L’ouvrage s’articule en sept chapitres. Dès l’introduction, Lacroix expose sa thèse centrale : le racisme systémique est un concept flou, non vérifiable scientifiquement, qui sert davantage des objectifs politiques que des analyses objectives. Il insiste sur la nécessité de distinguer les faits (inégalités, discriminations) des interprétations globalisantes, une distinction qui guide l’ensemble de son argumentation.
Lacroix distingue le racisme idéologique (croyances explicites), le racisme d’attitude (préjugés individuels) et le racisme structurel, qu’il juge souvent amalgamés abusivement. Il critique l’extension du terme « racisme » à toute différence entre groupes, ce qui, selon lui, en dilue la signification.
Le livre contextualise également les discussions sur l’héritage historique, notant que le Québec, contrairement aux États-Unis, n’a pas le même passé esclavagiste, ce qui rend les analogies problématiques. Il reconnaît les injustices envers les Autochtones, mais rejette leur assimilation à un système raciste généralisé.
La revue de littérature est particulièrement intéressante. L’analyse du rapport de la commission Viens, dans le cinquième chapitre, admet l’existence de discriminations dans certains services publics, mais conteste leur généralisation à l’ensemble de la société québécoise, en soulignant l’importance des facteurs géographiques et culturels.
Parmi les passages qui m’ont marqué, Lacroix affirme : « Le concept de racisme systémique est tellement extensible qu’il s’applique à tout et n’explique rien », soulignant son caractère tautologique et circulaire. Plus on gagne en extension, moins on gagne en compréhension.
Au final, le racisme systémique est un concept parfait pour les paresseux. En attribuant toutes les inégalités à un « système » raciste, on peut se permettre d’ignorer d’autres variables explicatives, comme les disparités économiques, l’éloignement géographique ou les facteurs culturels (tels que la langue).
Le fameux paradoxe de Tocqueville, que j’appelle souvent le « syndrome du bol de toilette », est illustré à merveille dans ce débat sur le racisme systémique. Plus on s’éloigne d’un monde où le racisme existe de manière incarnée dans les individus, les entreprises et les lois, plus les miettes de l’ancien monde nous paraissent insupportables, et plus le discours sur le racisme devient ésotérique et désincarné.
Il est clair que les adversaires idéologiques de Lacroix profiteront de son livre pour l’accuser de minimiser les expériences vécues de discrimination en s’attaquant ainsi au concept. Son message sera sans doute dénaturé et présenté comme un déni des défis structurels auxquels font face certains groupes, malgré un nombre incalculable de nuances apportées tout au long de l’ouvrage.
En dernière instance, diront-ils, de quel droit « un homme blanc » ose-t-il se prononcer sur ce sujet?
En faisant cela, ils ne se rendront pas compte qu’ils lui donneront en grande partie raison sur le fond : le problème de la théorie du racisme systémique est qu’elle voit le monde à travers une perspective qui confine et réduit l’individu à sa couleur de peau, exactement ce que l’antiracisme, à la base, prétendait combattre…
Bonne lecture!
L’entrevue avec Yannick Lacroix