Votre nouveau futur ex-Roi, Mark Carney, a écrit un bouquin important : Value(s). Écrit durant les premières vagues de Covid, le livre se présente comme une réflexion ambitieuse sur l’économie, la finance et la société, dans la foulée de cette mouvance du « RESET », soit l’idée que la pandémie était une occasion en or pour « shifter » l’économie mondiale vers de nouvelles valeurs. L’auteur, animé par un désir de réforme globale et une humilité démiurgique, propose donc un « reset » fondé sur des valeurs qu’il considère essentielles : la générosité, l’inclusion, la résilience, etc. Une lecture attentive permet de mettre en lumière les écueils de cette approche et de questionner les fondements idéologiques sous-jacents.
1. Une utopie interventionniste en décalage avec la réalité
Dès les premières pages, l’auteur exprime son adhésion à l’idée que « nous avons besoin de changements radicaux pour bâtir un monde meilleur pour tous. » Il perçoit la crise du Covid comme un révélateur des failles du capitalisme et plaide pour une transformation structurelle de l’économie mondiale, notamment par le biais d’une intervention étatique accrue (welcome to the STATRIX)
Cette approche pose un problème fondamental : elle repose sur l’hypothèse que l’État et les institutions internationales sont les mieux placés pour organiser la transition vers une économie « plus juste ». Or, l’histoire économique montre que les tentatives de planification centralisée et de régulation excessive ont souvent généré inefficacité, gaspillage et perte de compétitivité.
L’auteur célèbre des politiques telles que la taxation du carbone et l’investissement massif dans les énergies vertes. Pourtant, il ignore que ces interventions ont un coût énorme pour la classe moyenne et les entreprises, lesquelles doivent faire face à des réglementations toujours plus contraignantes. La transition écologique semble être un prétexte à une mainmise accrue de l’État sur l’économie.
2. Une vision naïve du marché et du rôle de l’État
L’un des postulats centraux du livre est que le marché libre est imparfait et nécessite une régulation intense. L’auteur déplore que nous soyons passés d’une économie de marché à une « société de marché » où tout est soumis aux lois du profit. Il oppose à cette réalité une vision plus « morale » de l’économie, où la valeur ne devrait pas être uniquement définie par l’offre et la demande, mais par des critères sociaux et environnementaux. Une espèce de théorie néomarxiste de la valeur, basée sur les bons sentiments moraux.
Cette critique du marché omet un point fondamental : ce sont précisément la libre concurrence et l’innovation qui ont permis l’essor économique et la prospérité des sociétés occidentales. Loin d’être un système inhumain, le capitalisme a sorti des millions de personnes de la pauvreté et favorisé des avancées technologiques majeures.
L’auteur semble croire que l’État peut mieux répartir les ressources et orienter les choix économiques vers le « bien commun ». Mais cette logique s’oppose aux principes mêmes du libéralisme économique, qui valorisent l’initiative individuelle, la responsabilité et la méritocratie. Carney sait mieux que le marché, ce qui est bon pour le marché et, au bout du compte, ce qui est bon pour vous !
3. Une obsession pour le « reset » et la transformation radicale
Un autre point problématique du livre est cette fascination pour un « reset » de l’économie mondiale, comme si l’ancien modèle était irrémédiablement obsolète. L’auteur voit dans la pandémie une opportunité de rupture, notamment à travers la digitalisation accrue (télétravail, e-learning, télémédecine) et la reconfiguration des chaînes d’approvisionnement. Or, ces changements perçus comme permanent par Carney se sont avérés être des « modes Covid », essentiellement revenues à leur niveau prépandémique une fois les mesures de confinement levées.
Cependant, cette vision fait abstraction de la nécessité de la stabilité et de la continuité. L’économie ne peut être reconstruite en quelques années sur des bases entièrement nouvelles, sans conséquences négatives majeures. De plus, certaines des réformes proposées semblent déjà dépassées. Par exemple, son insistance sur la formation au codage (coding boot camps) ignore que l’intelligence artificielle rendra rapidement ces compétences obsolètes.
4. Une approche idéologique du commerce international et de la gouvernance économique
L’un des aspects les plus préoccupants du livre est sa vision du commerce mondial. L’auteur propose une sorte de « libre-échange woke », où les échanges commerciaux seraient conditionnés à l’adhésion à des valeurs progressistes (inclusion, climat, égalité des genres, etc.). Il suggère que les nations coopèrent uniquement avec celles qui partagent ces principes.
Cette idée va à l’encontre du libre-échange classique et risque d’aboutir à une fragmentation économique accrue. Un tel protectionnisme idéologique pourrait pénaliser les pays en développement et renforcer les tensions géopolitiques. L’économie mondiale repose sur la diversité des systèmes et la capacité d’adaptation aux différences culturelles et politiques.
5. Une foi exagérée dans les institutions internationales et les experts
Enfin, l’auteur fait preuve d’un optimisme excessif envers les institutions supranationales et la coordination mondiale des politiques économiques. Il présente la COP26 comme un tournant décisif et croit en la capacité des gouvernements à orchestrer une transition harmonieuse vers le « net zero ». Il reconnait son approche « disruptive », mais il croit pouvoir chevaucher la bête dans un soft-landing carbonique fantasmagorique.
L’expérience récente montre que ces grands sommets accouchent souvent de promesses non tenues et de mesures inefficaces. La crise de 2008 et la pandémie de Covid ont démontré que l’expertise technocratique et la gouvernance mondiale ne sont pas infaillibles. Un modèle fondé sur le bon sens économique, l’innovation et la liberté d’entreprendre serait bien plus efficace que cette obsession pour une régulation mondiale uniforme qui s’effondre un peu plus chaque jour sous la montée des populistes et des gouvernements nationalistes.
Conclusion
Value(s) se veut une réflexion sur l’avenir économique et social, mais il repose sur des présupposés discutables et des solutions souvent utopiques. L’auteur exalte une vision dirigiste et morale de l’économie, où l’État et les institutions internationales jouent un rôle central. Il sous-estime la force du marché et des libertés économiques, tout en proposant un modèle coûteux et risqué pour la classe moyenne et les entreprises.
En fin de compte, ce livre illustre bien la tentation des élites technocratiques de vouloir façonner le monde selon leurs propres valeurs, au détriment des principes de souveraineté, de responsabilité individuelle et de réalisme économique.