Sept États américains, dont le Texas, viennent d’interdire la vente de viande cultivée en laboratoire. La loi texane, signée par le gouverneur Greg Abbott, ne se contente pas d’interdire : elle prévoit des sanctions civiles et criminelles pour quiconque oserait vendre cette nouvelle forme de protéine. Elle est en vigueur depuis septembre et sera valide pour deux ans. Cette mesure, que l’on présente comme une protection des consommateurs et des traditions, ressemble davantage à une manœuvre politique dictée par les lobbies du bœuf qu’à une décision fondée sur des principes de liberté économique.
La viande cultivée, aussi appelée viande cellulaire, est produite en prélevant des cellules animales pour les faire croître dans un environnement contrôlé. Elle n’imite pas la viande, elle l’est, mais sans passer par l’élevage massif et l’abattage. Ce n’est pas une utopie futuriste : depuis 2023, le département américain de l’Agriculture a autorisé certaines entreprises à vendre leurs produits, et quelques restaurants branchés en Californie ont déjà pu en proposer à leurs clients. Comme toute innovation naissante, elle a ses limites : des coûts élevés, une production énergivore, une méfiance persistante du grand public. Mais ce sont des obstacles normaux, qui relèvent du marché et de la science, pas des tribunaux ni du code criminel.
Ce qui dérange réellement, ce ne sont pas ces difficultés, mais bien la menace pour des intérêts établis. Le Texas produit à lui seul près de 15 % du bœuf américain. On comprend que l’élevage bovin perçoive la viande cultivée comme un concurrent potentiel. Mais la réaction des producteurs n’a pas été d’innover, de diversifier ou de convaincre par la qualité. Ils ont choisi la voie la plus facile et la plus cynique : utiliser le bras de l’État pour empêcher la concurrence d’exister. Ce n’est pas de la libre entreprise, c’est du cronyism pur et simple.
Le paradoxe saute aux yeux. Les mêmes conservateurs qui passent leur temps à dénoncer l’interventionnisme gouvernemental lorsqu’il s’agit de pipelines, de gaz naturel ou de projets miniers, se montrent soudain ravis d’utiliser la puissance de l’État pour protéger les éleveurs. Ils critiquent à juste titre les écologistes radicaux qui bloquent l’innovation énergétique, mais appliquent eux-mêmes les mêmes méthodes lorsqu’une innovation agricole ne leur plaît pas. Ce double standard révèle une hypocrisie profonde : la liberté de marché n’est défendue que lorsqu’elle sert les intérêts du moment.
Un vrai libéral, fidèle aux principes classiques, ne devrait pas tomber dans ce piège. La liberté n’est pas sélective, elle ne s’applique pas seulement aux secteurs qui nous arrangent politiquement. Elle implique que le consommateur ait le droit de choisir. Si un Texan veut acheter un steak élevé dans un ranch, libre à lui. S’il préfère goûter une escalope cultivée dans un laboratoire, ce devrait être tout aussi possible. Le rôle de l’État est limité : vérifier que le produit est sûr, qu’il est bien étiqueté, et laisser ensuite le marché trancher. Rien de plus.
L’histoire économique nous a appris que toutes les grandes innovations commencent par être craintes. On a accusé l’électricité d’être dangereuse, le train de menacer la fertilité des terres, et l’automobile d’être une extravagance inutile. À chaque fois, les forces établies ont tenté de freiner le changement. Mais à chaque fois, la demande des consommateurs et la supériorité de la technologie ont fini par l’emporter. Empêcher la viande cultivée d’arriver sur le marché ne fera que retarder une évolution inévitable.
Ce que révèlent ces interdictions, c’est la peur. La peur de voir s’effriter une rente, la peur de perdre le contrôle d’un marché, la peur d’admettre que l’innovation vient parfois bousculer des traditions tenues pour sacrées. Mais une économie libre et prospère n’avance pas en érigeant des murs, elle avance en permettant la concurrence. Protéger artificiellement un secteur en difficulté ne l’aide pas à long terme, au contraire, cela l’affaiblit en l’empêchant de s’adapter.
La viande cultivée échouera peut-être. Peut-être restera-t-elle un produit de niche, trop coûteux, réservé à une clientèle curieuse. Mais si tel est le cas, ce doit être la conséquence des choix du marché, pas d’un décret imposé depuis Austin, Tallahassee ou Indianapolis. Car au fond, ce débat dépasse largement l’alimentation. Il pose la question suivante : voulons-nous une société où l’État, manipulé par des intérêts particuliers, décide ce que nous pouvons consommer ? Ou voulons-nous une société où l’innovation et le choix individuel priment ?
Un marché libre ne craint pas la concurrence, il l’accueille. Ceux qui interdisent la viande cultivée ne défendent pas la liberté, ils la trahissent. Et ils rappellent que l’ennemi du libéralisme ne vient pas seulement de la gauche réglementaire, mais aussi d’une droite corporatiste prompte à brandir l’État dès que ses propres privilèges sont menacés.