« Les municipalités sont-elles vraiment des “gouvernements de proximité”? »
C’est une question qui me trotte dans la tête depuis que je me suis plongé dans le milieu municipal en 2017. À force de discuter avec des gens qui ont roulé leur bosse dans ce domaine, une chose revient sans cesse : l’autonomie municipale, ce vieux rêve qui n’en finit pas de faire jaser. Et pourtant, à l’époque où je me suis impliqué, un grand pas avait été franchi avec la loi 122, adoptée sous le gouvernement libéral de Philippe Couillard quelques mois plus tôt. Son titre officiel? Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs. Sur papier, ça sonnait bien, et ça avait été accueilli avec enthousiasme. D’ailleurs, plusieurs de ses idées venaient tout droit du Livre blanc municipal de l’Union des municipalités du Québec (UMQ). Mais dans les faits, qu’est-ce que ça a vraiment changé?
Des avancées, oui, mais avec des bémols
Cette loi a amené du concret, c’est indéniable. Prenez les référendums municipaux, par exemple : elle a permis aux municipalités de les mettre au rancart pour les remplacer par des consultations publiques. Ça donne un coup de pouce aux élus qui veulent faire avancer leurs projets sans se retrouver coincés par un processus long et parfois paralysant. Mais ça ne fait pas l’unanimité. Si ça renforce le pouvoir politique local, ça écarte aussi un peu (beaucoup) les citoyens du jeu, et ça, c’est une critique qu’on entend souvent. Avec raison d’ailleurs, les citoyens ont souvent l’impression que les dés sont pipés d’avance et que peu importe ce qui ressortira de la consultation publique, la décision de l’administration prônera. Cependant, pour l’avoir vécu, ceux qui se présentent aux consultations ou qui militent dans un référendum sont souvent ceux qui sont toujours opposés à tous les projets.
Autre changement : les municipalités peuvent maintenant imposer un pourcentage de logements sociaux dans les projets immobiliers. Pour plusieurs, ça semble être une bonne idée pour répondre à la crise du logement, surtout dans les coins où les besoins sont criants. Sauf qu’en réalité, ça ne se déploie pas. Et, de toute façon, est-ce vraiment la meilleure solution? Laissez-moi en douter. Mais ça, c’est un autre sujet.
Le pouvoir de taxer : belle promesse, peu de courage
Le gros morceau de la loi 122, c’était de donner aux municipalités les clés pour diversifier leurs revenus. Fini, en théorie, de dépendre uniquement des taxes foncières ou des subventions des gouvernements provincial et fédéral. Comment? Avec un pouvoir général de taxation, rien de moins. L’idée est séduisante : les municipalités peuvent inventer leurs propres taxes, taillées sur mesure pour leurs besoins. Mais dans les faits, qui a osé s’y aventurer? Pas grand monde.
La plupart préfèrent encore se tourner vers des programmes comme la TECQ (Transfert pour les infrastructures d’eau et collectives du Québec) ou le partage de la TVQ. C’est généreux, certes, mais ça vient avec des ficelles : des règles strictes, des priorités dictées d’en haut. Plusieurs voix dans le milieu municipal râlent que ces programmes sont trop cadrés et rêvent d’un transfert plus flexible pour avoir les coudées franches dans leurs budgets. Mais soyons honnêtes : ils ont déjà le pouvoir de taxer. Alors, pourquoi ne pas s’en servir ? Parce que personne ne veut porter l’odieux de faire les poches à sa population, voilà tout. Taxer les stationnements commerciaux pour financer le transport en commun ou imposer une redevance sur les permis de construction pour rénover les égouts, ça pourrait être un exemple de taxe utilisé. La question de savoir si c’est justifié sera pour un autre moment, mais sans courage politique, et encore moins les bons incitatifs, c’est plus facile de rester dans le confort des subventions et de se plaindre que le patron ne nous a pas donné l’augmentation de salaire que l’on souhaitait.
Diversifier, mais pas juste avec des taxes
La loi 122 n’a pas mis tous ses œufs dans le panier de la taxation. Elle offre aussi des options comme les redevances réglementaires – article 64, pour les curieux – qui pourraient financer des trucs précis, comme des inspections ou des normes environnementales. Ça pourrait alléger la pression sur les taxes traditionnelles. Et pourquoi pas aller plus loin? Des partenariats public-privé ou même du financement participatif pour un parc ou une salle communautaire, ça se fait ailleurs. Diversifier les revenus, ça ne passe pas juste par taxer plus ; ça demande de l’imagination et une envie de sortir des sentiers battus.
Une vraie réforme : miser sur les MRC
Pour que les municipalités deviennent de vrais “gouvernements de proximité”, il faudrait voir plus grand : décentraliser pour de bon en donnant une grosse part des pouvoirs provinciaux aux municipalités régionales de comté (MRC). Aujourd’hui, les MRC, c’est plus des tables de discussion ou des guichets de services qu’un réel palier de gouvernance. Imaginez leur confier des responsabilités du MAMH (Affaires municipales et Habitation), du MTQ (Transports Québec) ou même du ministère de l’Environnement. Ça rapprocherait les décisions des citoyens, ça casserait cette manie d’uniformiser tout depuis Québec, et ça donnerait enfin une légitimité aux MRC. Chaque région pourrait trouver ses propres solutions, adaptées à ses réalités.
Vous me direz que j’ai toujours parlé d’aller chercher de nouveaux revenus dans ce texte, jamais de revoir les dépenses. C’est parce que dans les règles du jeu actuel, il n’y a aucun incitatif à réduire la taille de l’appareil municipal. Papa provincial va payer la facture de toute façon. Avec une décentralisation des pouvoirs et responsabilités, on change les règles du jeu. On permet une forme de compétition municipale. On devrait éliminer le MAMH, transférer ses pouvoirs aux MRC et créer une agence de coordination municipale, relevant du ministère des Finances. Cette dernière aura un rôle limité de surveillance des bonnes pratiques comptables et éthiques. De plus, elle pourrait travailler conjointe avec l’institut de la Statistique du Québec pour faire ressortir les méthodes les efficaces sans avoir un pouvoir d’imposer quoi que ce soit.
Une autonomie à saisir, mais à quel prix?
Au final, la loi 122 a ouvert des portes, c’est clair. Elle a donné des outils – taxation, redevances, flexibilité – pour que les municipalités prennent leur place. Mais pour que ça marche, il faut que les élus locaux se mouillent. Ça veut dire accepter de prendre des risques, quitte à déplaire. Imposer une taxe ou tester de nouvelles idées, ça demande des couilles et une bonne dose de communication pour embarquer la population. Tant que les subventions provinciales resteront une option facile, pourquoi se compliquer la vie? L’autonomie municipale, c’est là, à portée de main, mais elle ne se concrétisera pas toute seule. Ça va prendre plus qu’un bout de papier. Les municipalités sont-elles prêtes à jouer pleinement leur rôle de “gouvernements de proximité”? Je n’en ai pas encore la preuve.