Une opération de camouflage à 37,7 millions de dollars
Après avoir annulé ses primes jugées scandaleuses, Radio-Canada a discrètement distribué des hausses salariales records de 37,7 millions de dollars en 2024-2025. Une manœuvre que la Fédération canadienne des contribuables (FCC) qualifie d’opération de camouflage destinée à éviter les mauvaises manchettes tout en continuant de puiser dans les poches des contribuables.
Les documents obtenus par la FCC en vertu de la Loi sur l’accès à l’information révèlent que 6 295 employés ont reçu une augmentation moyenne d’environ 6 000 dollars chacun. Aucun employé n’a subi de réduction salariale, selon ces mêmes données.
« Radio-Canada tente de calmer la controverse des primes, mais elle fait juste déplacer le problème, » dénonce Franco Terrazzano, directeur fédéral de la FCC. « Les contribuables ne sont pas dupes : que l’on parle de primes ou de hausses de salaire, c’est toujours leur argent qui est dilapidé. »
Des hausses qui dépassent largement les anciennes primes
L’ampleur de ces augmentations salariales soulève des questions sur la sincérité de l’exercice d’économies annoncé par Radio-Canada. En comparaison, la société d’État n’avait accordé que 11,5 millions de dollars en hausses salariales en 2023-2024, soit trois fois moins qu’en 2024-2025.
Ironiquement, cette explosion des coûts survient après l’abolition des primes qui avait suscité l’indignation publique. En 2023-2024, Radio-Canada avait versé 18,4 millions de dollars en primes de performance à 1 194 employés, dont 3,3 millions de dollars à 45 cadres supérieurs qui avaient reçu en moyenne plus de 73 000 dollars chacun.
« Cette manœuvre montre que Radio-Canada n’a rien appris du tollé qu’elle a provoqué l’an dernier,» ajoute Franco Terrazzano. «Les politiciens ont réagi, le public s’est exprimé, et pourtant la société d’État continue de se servir dans les poches des contribuables.»
Une décision annoncée d’avance
Radio-Canada avait elle-même annoncé ses intentions dès mai 2025. Dans un communiqué, la société expliquait : « Le conseil d’administration, sur l’avis et avec l’accord de la présidente-directrice générale, a décidé de mettre fin à la rémunération au rendement individuelle. Afin de maintenir la rémunération globale au niveau médian actuel, les salaires des employés concernés seront ajustés pour refléter la suppression de la rémunération au rendement individuelle».
Cette stratégie s’appuie sur une étude indépendante menée par la firme de consultants Mercer, qui recommandait de maintenir la rémunération totale au niveau médian du marché si les primes étaient éliminées. Le rapport de Mercer précisait que « éliminer complètement les primes placerait la rémunération de CBC/Radio-Canada en dessous du marché».
L’explosion des salaires à six chiffres continue
Parallèlement à ces hausses records, la croissance du nombre d’employés bien rémunérés se poursuit à un rythme effréné. En 2024-2025, 1 831 employés de Radio-Canada touchaient un salaire dépassant 100 000 dollars, pour un coût total de 240 millions de dollars. Le salaire moyen de ces employés s’établit à 131 060 dollars.
Cette progression est spectaculaire : en 2015-2016, seulement 438 employés gagnaient plus de 100 000 dollars, pour un coût total de 59,6 millions de dollars. Le nombre d’employés à six chiffres a donc bondi de 318 % en moins de dix ans, et de 17 % pour la seule année 2024-2025.
Évolution du nombre d’employés gagnant plus de 100 000 $
Année fiscale | Nombre d’employés | Coût total | Salaire moyen |
---|---|---|---|
2015-16 | 438 | 59,6 M$ | 136 073$ |
2016-17 | 467 | 63,6 M$ | 136 191$ |
2017-18 | 511 | 68,7 M$ | 134 442$ |
2018-19 | 599 | 78,0 M$ | 130 217$ |
2019-20 | 729 | 93,5 M$ | 128 288$ |
2020-21 | 838 | 106,2 M$ | 126 790$ |
2021-22 | 949 | 119,6 M$ | 126 027$ |
2022-23 | 1 378 | 170,4 M$ | 123 698$ |
2023-24 | 1 566 | 192,7 M$ | 123 024$ |
2024-25 | 1 831 | 240,0 M$ | 131 060$ |
Une opposition généralisée aux primes
L’opposition aux primes de Radio-Canada avait été forte et transpartisane. Un sondage Léger commandé par la FCC avait révélé que sept Canadiens sur dix s’opposaient à ces versements. Même les Amis des médias canadiens, pourtant défenseurs d’un radiodiffuseur public fort, avaient condamné cette pratique.
« Vous avez sans doute entendu parler de la décision de CBC/Radio-Canada d’accorder 18 millions $ en primes, seulement quelques mois après l’annonce de nombreuses suppressions de postes, » écrivait Marla Boltman, directrice générale de l’organisation, dans une infolettre. « Cette décision est complètement déconnectée de la réalité et indigne de notre diffuseur public national ».
L’absence de réponse de Radio-Canada
Contactée par la FCC pour justifier ces hausses salariales records, Radio-Canada n’a fourni aucune réponse. Cette absence de transparence contraste avec l’engagement de la société de servir l’intérêt public.
« Tout cela ressemble à une opération de camouflage,» dénonce Nicolas Gagnon, directeur Québec pour la FCC. «Radio-Canada n’a pas éliminé les bonis, elle les a juste transformés en hausses salariales déguisées. Il ne s’agit pas d’économies, mais plutôt de marketing politique. Radio-Canada veut éviter les mauvaises manchettes, tout en continuant de faire grimper la facture pour les contribuables.»
Un contexte budgétaire préoccupant
Ces dépenses salariales s’inscrivent dans un contexte où Radio-Canada coûte aux contribuables canadiens plus de 1,4 milliard de dollars par année. Cette somme considérable soulève des questions sur l’efficacité et la responsabilité fiscale de la société d’État.
Les documents révèlent également qu’environ 81 % de la main-d’œuvre de Radio-Canada est syndiquée et représentée par quatre unités de négociation. Toutes les conventions collectives ont été renégociées en 2024, ce qui explique en partie l’ampleur des hausses accordées.
Une réforme cosmétique?
L’étude de Mercer, qui a coûté des dizaines de milliers de dollars aux contribuables, concluait que la rémunération totale de Radio-Canada était « alignée avec la médiane du marché ». Cette analyse comparative incluait 50 organisations du secteur privé et public, ainsi que des radiodiffuseurs publics internationaux.
Ironiquement, cinq des neuf radiodiffuseurs publics internationaux consultés n’offrent aucune prime incitative à leurs employés. Une organisation avait même éliminé son programme de primes à la suite d’une directive gouvernementale.
La décision de Radio-Canada de maintenir la rémunération globale au même niveau que lorsque les primes existaient soulève donc des questions sur la véritable nature de cette réforme. S’agit-il d’une économie réelle ou simplement d’un exercice de relations publiques?
« Les contribuables n’ont pas besoin de tous ces employés supplémentaires de CBC touchant des salaires à six chiffres,» résume Franco Terrazzano. «Le gouvernement devrait faire des économies en dégonflant sa bureaucratie grassement payée, ce qui inclut les sociétés d’État comme CBC».
Alors que le nouveau premier ministre Mark Carney promet de remettre de l’ordre dans les finances publiques, l’exemple de Radio-Canada illustre les défis qui l’attendent pour contrôler les dépenses des sociétés d’État. Reste à savoir si les contribuables canadiens verront les économies promises… ou simplement de nouveaux artifices comptables.