La compagnie Del Monte USA a annoncé sa mise sous protection contre la faillite hier après presque 150 années en opération. C’est la filiale américaine qui a frappé le mur uniquement, les autres étant encore en shape.
Cela dit, c’est une belle opportunité pour un deep dive dans l’histoire de l’industrie néocoloniale américaine des fruits.
D’abord, un mot sur Del Monte. Ce nom vient d’un hôtel californien luxueux d’une époque révolue, mais elle a vraiment eu comme mission de faire des fruits en conserve dès le départ. À l’époque, Del Monte a brisé la game avec ses conserves de qualité, savoureuses et relativement santé pour l’époque.
Par contre, et c’est aussi vrai pour les autres géants de l’industrie comme Dole ou Chiquita, la suite de l’histoire est moins ensoleillée. Puisque les fruits, ça pousse au chaud, ces entreprises jadis relativement modestes ont cherché les opportunités d’expansion de la production à travers la planète.
La fin de la Deuxième Guerre mondiale a été le prétexte parfait pour utiliser la nouvelle hégémonie américaine à leur avantage. En Asie ou en Amérique latine, l’appétit d’expansion était sans fin.
La suite est un peu triste. Del Monte s’est fait accuser de bafouer les droits humains les plus élémentaires aux Philippines, de manipuler le pouvoir politique avec des pots-de-vin et d’abuser des pesticides qui ont fucké les écosystèmes locaux. Les droits des peuples locaux, notamment autochtones, se sont fait varloper sans trop de retenue.
De son côté, Chiquita, c’est l’ancienne et controversée United Fruit. L’entreprise a littéralement contrôlé l’Amérique centrale pendant des décennies avec son pouvoir économique et son influence. L’entreprise finançait la construction de ports, de ponts et de routes avec, évidemment, ses intérêts en tête.
Au-delà des bananes, United Fruit a été jusqu’à inciter les États-Unis à organiser un coup d’État au Guatemala pour renverser un gouvernement pas assez favorable à leurs intérêts à leur goût. Pire encore, l’entreprise a relativement récemment (début 2000!) financé des groupes armés en Colombie pour continuer à contrôler des territoires pour sa production de bananes.
Maintenant, pour en revenir au début du post, pourquoi Del Monte ferait faillite aujourd’hui avec autant de leviers de puissance? L’entreprise a évoqué deux raisons majeures.
La première est un changement dans le marché. Les prix des aliments ont explosé, poussant les clients vers des alternatives moins coûteuses, mais ce n’est pas la seule raison. Le consommateur moyen veut mieux manger et les produits sucrés et hautement conservés de Del Monte n’ont plus trop la cote.
L’autre raison, ce sont les tarifs de Trump. Tiens donc! L’entreprise mentionne notamment les tarifs sur l’aluminium et l’acier qui vont faire exploser les prix des conserves et, forcément, impacter leurs ventes. La protection contre la faillite (le fameux Chapter 11 aux États-Unis) était en anticipation à ce choc à venir.
Bref, c’est un géant de l’agroalimentaire mondial qui met un genou à terre. L’entreprise va probablement se restructurer et repartir sur de nouvelles bases, mais c’est quand même une industrie intéressante à décortiquer.
Del Monte, personne ne l’aurait vu faire faillite dans les décennies précédentes, mais il y a beaucoup de Philippins qui rêvaient de ça secrètement, on s’en doute.
Comprenez-moi bien, je suis encore et toujours un ardant défenseur du capitalisme, mais quand on tombe dans les pratiques d’exploitation sauvage, je trippe pas mal moins.
Ces entreprises ont fait beaucoup plus de mal que mon humble article ne peut le dire, mais elles auront aussi créé des milliers d’emplois et alimenté des milliards de personnes à peu de frais.
Comme quoi rien n’est jamais vraiment blanc ou noir hein.