Alors que la période d’amnistie court jusqu’au 30 octobre 2025, le groupe PolySeSouvient hausse le ton et presse Ottawa d’en finir une bonne fois pour toutes avec ce qu’il appelle l’« interdiction des armes d’assaut ». Mais derrière ce slogan-choc se cache une confusion entretenue — volontairement ou non — entre réalité technique, opportunisme politique et véritable efficacité en matière de sécurité publique.
Une interdiction fondée sur un terme inexistant
Le cœur du débat tient en un mot : « arme d’assaut ». Une expression percutante, mais juridiquement vide. Le gouvernement lui-même admet dans un document que « le terme “arme d’assaut” n’est pas défini dans la loi », ce qui rend impossible d’en établir le nombre ou même les critères précis au Canada. Malgré cela, plus de 2 500 modèles d’armes à feu ont été prohibés depuis 2020, sans que le Parlement ne définisse clairement ce qu’il interdisait réellement — un processus qui ressemble davantage à un bannissement arbitraire qu’à une politique cohérente et rigoureuse.
Ce flou n’a pourtant pas freiné les Libéraux de Trudeau et de Carney, qui ont poursuivi leur campagne d’interdictions à un rythme soutenu. Le 1er mai 2020, environ 1 500 armes étaient bannies. Le 5 décembre 2024, 324 modèles s’ajoutaient. Puis, le 7 mars 2025, 179 de plus. Le tout, en ciblant des armes légalement possédées, souvent utilisées pour la chasse ou le tir sportif — mais labellisées à des fins politiques comme « de style militaire » ou « inappropriées ».
Automatique ≠ semi-automatique
Le grand malentendu : ce que le public imagine être une « arme d’assaut » — comme une mitrailleuse utilisée en zone de guerre — est déjà interdit au Canada depuis plus de 40 ans. Ce que le gouvernement cible aujourd’hui, ce sont des armes semi-automatiques, qui ne tirent qu’une balle par pression de détente. Rien à voir avec un M16 militaire.
Des armes modernes pensées pour l’accessibilité et la performance
Au-delà de la confusion entretenue entre armes automatiques militaires et semi-automatiques civiles, une autre méprise gagne du terrain : l’association des matériaux polymères à une supposée dangerosité accrue. En réalité, l’utilisation de polymères dans la fabrication des armes à feu modernes répond à des besoins pratiques, techniques et ergonomiques, bien loin des considérations militaires souvent évoquées.
Les polymères — notamment les composites renforcés de fibres de verre ou de carbone — permettent de réduire significativement le poids des armes. Cette légèreté est un avantage réel pour les chasseurs et tireurs sportifs, particulièrement lors de longues expéditions en forêt ou de journées prolongées sur le pas de tir. Elle facilite aussi la prise en main pour les personnes de plus petite stature, les tireurs débutants, les femmes ou encore les utilisateurs à mobilité réduite, en diminuant la fatigue musculaire et le risque de blessures.
Au-delà du poids, les composants en polymère offrent une excellente résistance à la corrosion et aux variations climatiques — un atout majeur pour les conditions de chasse en plein air. Ils requièrent également moins d’entretien que les matériaux métalliques classiques, prolongeant ainsi la durée de vie de l’arme. Plusieurs modèles modernes sont aussi conçus pour absorber partiellement le recul, ce qui augmente le confort de tir et améliore la précision, notamment pour les personnes sensibles ou novices.
Ironiquement, ces caractéristiques — pourtant pensées pour l’ergonomie, la sécurité et l’accessibilité — deviennent soudainement suspectes dès qu’elles s’habillent de noir mat. Dès qu’une arme présente un design anguleux ou un corps en polymère, certains groupes militants et représentants politiques crient à l’« arme de style militaire ». Une rhétorique bancale, voire malhonnête, qui détourne une innovation technique utile en argument de peur, pour mieux nourrir un agenda idéologique. On oublie qu’un outil bien conçu reste un outil — même s’il est noir et en plastique.
PolySeSouvient tape du poing
Dans une lettre adressée au ministre de la Sécurité publique Dominic LeBlanc, le groupe PolySeSouvient reproche au gouvernement son manque de rigueur : pas de programme de rachat opérationnel, interdictions jugées incomplètes, chargeurs encore accessibles. Nathalie Provost, porte-parole du groupe et survivante de la tragédie de Polytechnique, ne mâche pas ses mots : « Soit le gouvernement libéral n’est pas assez compétent pour concrétiser ses promesses de neuf ans visant à interdire les armes d’assaut, soit il a abandonné son engagement par crainte de raviver la colère du lobby des armes à feu. »
Mais ce discours militant semble largement déconnecté des données réelles sur le terrain. Depuis le début des interdictions en 2020, les homicides par armes à feu ont continué d’augmenter, malgré des vagues de prohibitions et des promesses de plus en plus coûteuses. Selon Statistique Canada :
- En 2019, on recensait 264 homicides commis avec une arme à feu ;
- En 2020, ce nombre grimpait à 280 ;
- En 2021, 299 ;
- En 2022, 343 — un sommet inquiétant ;
- Et en 2023, malgré une baisse globale des homicides, 289 victimes ont tout de même été tuées par balle.
Pire encore, les armes de poing — déjà soumises à des restrictions rigides — représentaient 63 % des homicides par arme à feu en 2022. Et depuis 2021, elles constituent plus de la moitié de ces crimes.
Homicides | Nombre de victimes d’homicide | ||||
---|---|---|---|---|---|
Type d’arme à feu | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 |
Nombre | |||||
Total armes à feu | 264 | 280 | 299 | 343 | 289 |
Arme de poing | 133 | 138 | 170 | 216 | 162 |
La criminalité, pas les chasseurs
Autrement dit, malgré l’empilement de lois et d’interdictions ciblant les propriétaires légaux, la violence armée ne ralentit pas. En 2023, les armes à feu demeuraient la principale méthode de meurtre au pays, comptant pour 38 % des cas où l’arme était connue.
Ce que démontrent ces chiffres : les interdictions de type symbolique, qui visent les chasseurs, tireurs sportifs ou collectionneurs en règle, ne touchent en rien les causes profondes de la violence — à savoir le trafic, le crime organisé et les armes illégales qui traversent la frontière sans permis, sans enregistrement, et sans que personne ne les rachète.
Les experts ne cessent de le répéter : ce ne sont pas les armes enregistrées qui posent problème, mais le flot d’armes illégales traversant la frontière américaine. « Le contrôle des armes à feu au Canada n’a pas réduit la violence criminelle, et interdire les armes à feu semi-automatiques ou les armes de poing n’y changera rien non plus. Les inquiétudes sont mal placées, » affirmait le criminologue Gary Mauser. Les armes obtenues illégalement restent la source du problème, les politiciens cherchent plutôt à utiliser le biais d’action.
Même le directeur parlementaire du budget avait mis en doute la rentabilité d’un programme de rachat, évoquant des coûts dépassant largement les estimations initiales pour des résultats peu convaincants.
Le Bloc en rajoute
Le Bloc Québécois, de son côté, propose d’aller encore plus loin que les libéraux, en promettant 900 millions de dollars pour racheter les armes prohibées — soit 100 millions de plus que le budget fédéral actuel. Une surenchère qui fait bondir les associations de chasseurs.
Pendant ce temps, plus de 127 000 modèles d’armes à feu restent parfaitement légaux au pays pour la chasse ou le tir sportif. Et pourtant, les propriétaires respectueux de la loi sentent l’étau se resserrer, avec la peur d’être les prochains sur la liste.
Des lois symboliques, des résultats invisibles
« Ce sont deux dossiers connexes, mais qui ne sont pas les mêmes et qui ne s’attaquent pas aux mêmes problèmes », rappelait en 2022 Francis Langlois, chercheur affilié à l’UQTR. Et c’est là tout le cœur du problème : on cible les citoyens respectueux des règles, pendant que les armes circulent librement entre gangs et cartels.
Le gouvernement, lui, continue d’insister : « L’interdiction devrait permettre de réduire le nombre et la disponibilité des armes de type assaut, ainsi que de diminuer les risques que ces armes soient vendues illégalement. » Mais dans les faits, ces « assault-style firearms » ne viennent pas du placard d’un chasseur du Bas-Saint-Laurent, mais du coffre d’une voiture volée à Detroit.
En conclusion, ce débat n’est pas qu’une question d’armes : c’est une question de sémantique, de symbolisme et, surtout, de responsabilités déplacées. Quand la terminologie devient une arme politique, ce sont les citoyens honnêtes qui en font les frais.