Le Québec vit depuis trop longtemps sous un malentendu : ce qui s’y déploie n’a rien à voir avec le capitalisme. Nous sommes prisonniers d’un système hybride et malsain, un crony capitalism où les politiciens distribuent l’argent des autres à leurs amis d’affaires, et où ces derniers rendent l’ascenseur sous forme de sièges dorés et de bonus indécents. Tout cela relève moins de l’économie de marché que d’un circle jerk incestuel entre élites politiques et financières, dont la facture tombe invariablement sur la tête des contribuables.
Regardons le cas Innergex. La Caisse de dépôt, bras financier de l’État, rachète la compagnie à un prix gonflé, enrichissant instantanément ses dirigeants de millions. Comme si ce n’était pas assez, le conseil d’administration s’offre le luxe de leur donner trois millions de dollars de prime de départ. Trois millions pour dire merci et au revoir, financés indirectement par nos fonds de retraite. Voilà ce qu’on appelle un jackpot organisé, un cadeau de couronne, qui fait passer les citoyens ordinaires pour les éternels pigeons de service.
Ce n’est pas un accident, c’est un système. Pierre Fitzgibbon, ex-ministre de l’Économie, vient d’être nommé président du CA d’une entreprise qui avait reçu des millions de prêts publics sous son propre mandat. Et tout le monde hausse les épaules comme si la chose allait de soi. Ce n’est plus une démocratie, c’est une cour de petits rois. On change les chaises, on s’offre des jetons, et l’argent public sert de trésor commun pour entretenir le réseau. La CAQ perfectionne le manège, mais le PQ et le PLQ l’ont pratiqué avant elle : une dynastie sans idéologie autre que celle du copinage.
Et puis, il y a les projets phares censés incarner l’avenir vert du Québec : Northvolt et Lion Électrique. Northvolt reçoit plus de deux milliards de fonds publics (Québec et Ottawa confondus) pour une usine de batteries dont la viabilité repose moins sur l’ingénierie que sur la perfusion de subventions. Lion Électrique, de son côté, continue de brûler l’argent des contribuables entre pertes chroniques et licenciements massifs, tout en multipliant les prêts « remboursables » que personne ne croit réellement remboursés. C’est le casino permanent : on mise des milliards pour un rendement hypothétique, mais toujours au bénéfice des mêmes joueurs installés autour de la table.
On nous vend cela comme du développement économique. En vérité, c’est du parasitisme institutionnalisé. Le capitalisme véritable repose sur l’investissement volontaire, la prise de risque assumée, la sanction du marché. Ici, il n’y a ni risque ni sanction : seulement des transferts forcés, des contrats octroyés par connivence, et des parachutes dorés distribués à la chaîne. Appeler ça du capitalisme, c’est une insulte. Le capitalisme, c’est la concurrence, c’est le choix du consommateur, c’est l’innovation récompensée parce qu’elle sert la société. Ce que nous avons au Québec, c’est une version dégénérée où l’État se prend pour un investisseur, mais où ses paris sont couverts par la sueur fiscale des citoyens.
L’image du poker est la plus juste. L’État québécois joue avec nos impôts comme un joueur compulsif joue avec les jetons d’un casino. La différence, c’est qu’au casino, on perd son propre argent. Ici, ce sont les familles, les travailleurs, les entrepreneurs non branchés qui payent. Chaque mise ratée — et elles sont nombreuses — se traduit par moins d’argent pour les écoles, pour la santé, pour alléger le fardeau fiscal. Pendant ce temps, les « amis » du régime engrangent des profits privés garantis par des pertes publiques.
Ce n’est pas seulement un problème moral, c’est un problème systémique. Comme le dit Vincent Geloso, « ce qui détermine le comportement des individus, ce ne sont pas leurs vertus, mais les règles du jeu dans lesquelles ils évoluent ». Tant que les règles permettent aux politiciens de distribuer l’argent public à la tête du client, et tant que les entreprises peuvent prospérer davantage par lobbying que par innovation, rien ne changera. Les individus, rationnels, continueront d’agir selon les incitations perverses offertes par ce système.
La conclusion est limpide : il faut retirer à l’État ce rôle de parieur et de courtisan. Arrêter de confondre l’action publique avec un fonds de capital-risque où les pertes sont socialisées et les gains privatisés. Replacer le citoyen au centre, par le marché et la liberté de choix. Si un projet est solide, il trouvera du financement privé. Si un produit répond à un besoin réel, les consommateurs l’adopteront. Sinon, qu’il disparaisse. Voilà la règle simple, juste et efficace du capitalisme.
Ce que nous appelons aujourd’hui « développement économique » n’est qu’une mascarade. Ce n’est pas du capitalisme, c’est de l’étatisme incestueux, une danse circulaire de courtisans — un circle jerk incestuel en bonne et due forme. Le népotisme, la collusion, la corruption, l’entre-soi, la connivence. Et tant que nous confondrons cela avec la libre entreprise, nous condamnerons le Québec à demeurer un royaume de privilèges plutôt qu’un véritable marché ouvert.