Chaque fois qu’un gouvernement ose à peine effleurer les privilèges syndicaux, la machine se met en branle. C’est un rituel bien huilé : indignation, larmes médiatiques, menaces de chaos social. Les dernières sorties de Magali Picard et de Caroline Senneville en sont un exemple caricatural. François Legault a eu l’audace de proposer que certaines cotisations syndicales, notamment celles servant à financer l’action politique, deviennent facultatives. Aussitôt, Picard s’est lancée dans un sermon enflammé, dénonçant une soi-disant volonté de « faire taire » les syndicats et de « détruire le filet social ». Senneville a surenchéri, accusant Legault de « ne pas être sur la même planète » et d’être en plein retour au duplessisme. On croirait presque assister à une pièce de théâtre où chaque réplique est plus outrée que la précédente.
Le problème, c’est que derrière cette rhétorique dramatique se cache une manipulation grossière. Picard répète que les cotisations syndicales servent à défendre l’ensemble des travailleurs, syndiqués ou non, et même la société entière. Elle brandit l’argument du filet social comme une arme absolue : sans cotisation obligatoire, plus de protection des droits, plus de sécurité économique, et, pourquoi pas, la fin du monde civilisé. C’est une stratégie rhétorique qui joue sur la peur et sur la culpabilisation. Refuser de payer devient un geste égoïste, presque immoral, puisqu’on serait censé profiter malgré tout des acquis syndicaux. Mais cette vision repose sur un amalgame. Qu’un syndicat négocie des conditions de travail, soit. Qu’il s’arroge ensuite le droit de financer des campagnes politiques, des causes idéologiques et des batailles judiciaires qui dépassent largement le champ du travail salarié, voilà où le bât blesse. Ce n’est pas du filet social, c’est du militantisme payé de force par des gens qui n’ont pas le choix.
La formule Rand, instaurée en 1946, avait une logique à son époque. Le juge Rand estimait que puisque tous les travailleurs profitaient des conventions collectives, il était équitable que tous paient une cotisation minimale. Mais Rand ne pouvait pas imaginer qu’un jour, les centrales syndicales se transformeraient en superstructures politiques, finançant tout et n’importe quoi au nom d’un mandat auto-proclamé. Les dizaines de millions qui entrent chaque année dans leurs coffres ne servent pas seulement à négocier des conventions : ils servent aussi à soutenir des partis, à organiser des manifestations idéologiques, à plaider devant les tribunaux contre des lois qui ne plaisent pas à la gauche syndicale. Ce qui était censé être une contribution à la négociation est devenu un impôt idéologique.
Il faut aussi déconstruire le chantage moral du fameux « passager clandestin », cet argument selon lequel si les cotisations devenaient volontaires, des travailleurs profiteraient des gains sans contribuer. D’abord, cet argument suppose que la négociation collective est nécessairement un bienfait pour tous. Or dans bien des cas, les ententes syndicales rigidifient le marché du travail, empêchent la reconnaissance du mérite individuel et freinent l’innovation. Il n’est pas évident que chaque employé bénéficie réellement de ces arrangements. Ensuite, si les syndicats croient vraiment offrir une valeur indispensable, pourquoi craignent-ils que les travailleurs cessent de payer volontairement ? La vérité, c’est que sans le prélèvement automatique, beaucoup d’employés voteraient avec leur portefeuille. La peur de cette liberté explique l’agressivité de Picard et Senneville.
Les grèves récentes illustrent la tyrannie syndicale mieux que n’importe quel discours. À Postes Canada, une grève nationale a plongé le pays dans un ralentissement du courrier (encore). Des municipalités ont craint que leurs élections soient compromises, faute de cartes de vote livrées. Des milliers de PME ont subi des retards coûteux. À Montréal, une poignée de dockers a réussi à paralyser tout un terminal maritime, mettant en péril le commerce international du Québec. À chaque fois, une minorité de travailleurs impose sa volonté à l’ensemble de la société. Et les syndicats brandissent cela comme une démonstration de force, une victoire populaire, alors qu’il s’agit d’un abus de pouvoir qui prend la population en otage.
Il est d’autant plus ironique d’entendre Picard et Senneville parler de « démocratie syndicale » alors que le financement de leurs organisations repose précisément sur l’absence de choix. Dans une démocratie véritable, on choisit ses associations, on choisit ses dons, on choisit ses combats. Ici, tout est imposé par la loi. On appelle cela la solidarité, mais il s’agit en réalité d’une solidarité forcée. Et quand le gouvernement propose un timide correctif, en rendant facultatives certaines cotisations politiques, les centrales crient à l’attentat contre la liberté. La liberté qu’elles réclament est toujours à sens unique : liberté pour elles d’utiliser les fonds comme bon leur semble, mais aucune liberté pour l’individu de refuser de financer ce qui ne correspond pas à ses convictions.
L’attitude des partis politiques n’est pas plus glorieuse. La CAQ, malgré son image de parti plus à droite, n’ose pas remettre en cause la formule Rand. Son projet se limite à une réforme symbolique. Le Parti québécois, pour sa part, préfère cajoler ses alliés syndicaux plutôt que de questionner leur pouvoir. Quant aux partis de gauche, inutile d’espérer : ils sont dans une symbiose idéologique avec les centrales. Résultat, aucun parti n’a le courage de poser la vraie question : pourquoi l’appartenance syndicale doit-elle continuer d’être financée par contrainte légale ?
La tyrannie syndicale ne se manifeste pas seulement dans les cotisations. Elle s’exprime dans la capacité d’un petit groupe à bloquer un service essentiel, dans la rhétorique alarmiste de ses dirigeants et dans l’incapacité chronique de la classe politique à leur tenir tête. Pendant que Picard brandit le spectre de la pauvreté généralisée, pendant que Senneville compare Legault à Duplessis, ce sont les citoyens qui subissent les conséquences : courrier en retard, conteneurs bloqués, services publics perturbés, économies locales fragilisées. Les syndicats défendent leurs intérêts comme n’importe quel groupe de pression, mais avec l’avantage décisif d’un financement garanti par l’État.
Ce système est devenu intenable. Si un travailleur veut adhérer à un syndicat et financer ses luttes, qu’il le fasse volontairement. Mais il n’est pas acceptable que des centaines de milliers d’employés paient malgré eux pour des causes qu’ils n’endossent pas. Le syndicalisme ne redeviendra légitime que lorsqu’il reposera sur le consentement, et non sur la coercition. Tant que la formule Rand perdurera, tant que les cotisations politiques seront obligatoires, les discours de Magali Picard et de Caroline Senneville resteront ce qu’ils sont : de la manipulation émotive destinée à cacher une réalité simple, celle d’un pouvoir qui se sait fragile dès qu’il est exposé à la liberté individuelle.
La tyrannie syndicale n’est pas un slogan. C’est la description d’un rapport de force où une minorité organisée impose sa volonté à une majorité silencieuse, en se faisant passer pour la voix du peuple. Il est temps de lever le voile. Et de rappeler que la vraie démocratie n’a rien à craindre du choix libre des individus.