Le Totalitarisme sans le Goulag de Mathieu Bock-Côté

« L’homme ordinaire […] demeure à sa manière le meilleur résistant à ce régime qui rend fou, au totalitarisme qui vient et qui est déjà là » (p. 244).


Une continuité du totalitarisme

FRANK | Mathieu Bock-Côté (désormais MBC) amorce son ouvrage en affirmant que l’esprit du totalitarisme n’a pas disparu avec l’effondrement du communisme, mais qu’il s’est transformé en une idéologie diffuse, imposée par des moyens non violents : « Le totalitarisme est disparu, mais son esprit de « procès » demeure » (p. 9). Il s’interroge sur l’usage extensif et malléable de l’accusation d’extrême droite pour étouffer toute dissidence, qu’il qualifie d’outil idéologique de contrôle.

Même si la comparaison explicite avec le totalitarisme classique pourrait être jugée exagérée en raison de l’absence d’une révolution brutale dans ces nouveaux modes de domination, elle me semble néanmoins pertinente. Au final, même la révolution est à l’image du reste : elle s’est affadie.

L’extrême droite est comme le genre : fluide !

MBC explore ici la définition fluide et manipulable de l’extrême droite, souvent invoquée comme une menace omniprésente : « Elle est partout, fière revenante des années 30, apparemment décomplexée, même si, sournoise, elle ne se présenterait jamais sous ce nom » (p. 39). L’auteur critique le crypto-fascisme, un concept selon lequel l’extrême droite avancerait masquée. Il note que cette accusation s’étend à des figures intellectuelles comme Michel Onfray ou Marcel Gauchet, sous prétexte de « dérive » ou de « glissement » idéologique.

Points forts
La remarque sur l’instrumentalisation de l’extrême droite pour délégitimer tout adversaire politique est éclairante :

 « La gauche d’aujourd’hui est appelée à devenir le centre de demain, le centre d’hier dérivera inévitablement à droite, puis à l’extrême droite » (p. 54).

Limites
Si MBC critique avec acuité les excès de langage qui consistent à accuser tout le monde d’extrême droite, il faut également reconnaitre que la droite s’adonnent parfois au même jeu avec le concept d’extrême gauche. À la différence tout de même que l’accusation d’extrême gauche n’a évidemment pas la même portée disqualifiante, à tord ou à raison d’ailleurs.

L’institutionnalisation du mensonge

L’auteur dénonce ici l’effacement du réel par l’idéologie diversitaire, notamment dans la science, la langue et l’art : « Le médecin n’est plus une autorité, mais un vilain « qui assigne de manière autoritaire un genre à la naissance » » (p. 131). Il critique également l’écriture inclusive comme outil de contrôle mental : « Ne pas s’y soumettre est suspect : vous êtes probablement d’extrême droite ». Enfin, il décrit la déconnexion croissante entre les perceptions populaires et les récits imposés : 

« L’homme ordinaire […] se croit obligé d’y obéir et de faire comme si elles étaient vraies » (p. 134).

Je ne sais pas si je réduirais l’ensemble des discours cités à de simple outils de propagande, cependant son observation sur la « novlangue » et l’instrumentalisation de la science mérite réflexion, notamment face au paradoxe d’une époque revendiquant la science tout en véhiculant des discours parfois anti-scientifiques.

«Nous c’est la science» et «il existe 364 genres» semblent être des affirmations pour le moins difficile à réconcilier.

Les prochains prisonniers politiques

MBC alerte sur le risque d’une « mort sociale » infligée à ceux qui s’opposent à l’idéologie dominante. Il cite des exemples concrets, comme la censure exercée sur Nigel Farage ou les révélations des Twitter Files (p. 156, 159). Selon lui, la conformité idéologique prime désormais sur la vérité factuelle : 

« À l’exactitude factuelle se substitue la conformité idéologique » (p. 184).

Il critique aussi la tolérance asymétrique des violences politiques : 

« À droite, on dissout et on interdit, même en l’absence de violence […]. À gauche, on tolère, même en présence de violence » (p. 173-174).

L’argumentation est convaincante sur les dérives de la cancel culture et la polarisation idéologique. Cependant, je demeure sur ma faim quant à l’explication sociologique des conditions d’émergence de ce deux poids deux mesures.

Un peu d’espoir ?

Ce qui m’a agréablement surpris dans ce livre, c’est sa fin, marquée par une note d’optimisme que je n’avais pas anticipée. MBC conclut en exaltant l’homme ordinaire comme le dernier bastion de résistance :

« L’homme ordinaire […] demeure à sa manière le meilleur résistant à ce régime qui rend fou, au totalitarisme qui vient et qui est déjà là » (p. 244).

Un ouvrage qui mérite d’être relu à l’aube de ce que l’on appelle désormais aux États-Unis le Peak Woke.

Peut-être, je dis bien peut-être, que MBC avait raison d’être optimiste.

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