Une victoire éclatante des contre-pouvoirs face à l’exécutif
Une décision historique vient de tomber : la Cour internationale du commerce des États-Unis a carrément démoli la politique tarifaire de Donald Trump, déclarant illégaux ses tarifs massifs imposés sur les importations mondiales. Une gifle magistrale qui rappelle que même le président le plus puissant du monde ne peut pas faire fi des lois du Congrès.
Le 28 mai 2025, un panel de trois juges a rendu une décision qui fera date. Dans l’affaire V.O.S. Selections, Inc. v. United States et Oregon v. United States, la Cour a statué que l’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA) ne donnait tout simplement pas au président l’autorité d’imposer des tarifs illimités sur le monde entier.
Les tarifs abolis : un arsenal commercial démantelé
Les mesures abolies par la Cour sont impressionnantes par leur portée :
Les « Trafficking Tariffs » — des tarifs de 25 % sur tous les produits mexicains et canadiens, et de 20 % sur les produits chinois, supposément pour lutter contre le trafic de drogue. Une logique bancale qui prétendait combattre le fentanyl… en taxant les tomates du Mexique et l’aluminium du Canada.
Les « Worldwide and Retaliatory Tariffs » — des tarifs de 10 % sur les importations de tous les pays du monde, avec des taux majorés allant jusqu’à 125 % pour certains pays (avant d’être ramenés à 10 % pour la Chine après négociations).
Comme l’a écrit la Cour : « La question posée dans les deux affaires soumises à la cour est de savoir si la Loi sur les pouvoirs économiques d’urgence internationale de 1977 (« IEEPA ») délègue ces pouvoirs au président sous la forme d’une autorité lui permettant d’imposer des tarifs illimités sur les marchandises en provenance de presque tous les pays du monde. La cour n’interprète pas l’IEEPA comme conférant une telle autorité sans limitesThe question in the two cases before the court is whether the International Emergency Economic Powers Act of 1977 (« IEEPA ») delegates these powers to the President in the form of authority to impose unlimited tariffs on goods from nearly every country in the world. The court does not read IEEPA to confer such unbounded authority ».
Les héros de cette bataille juridique
Derrière cette victoire se cachent plusieurs acteurs déterminés :
Les entreprises plaignantes dans l’affaire V.O.S. étaient représentées par Jeffrey M. Schwab du Liberty Justice Center d’Austin, Texas. Parmi elles : V.O.S. Selections, Plastic Services and Products (Genova Pipe), MicroKits, FishUSA et Terry Precision Cycling – des PME qui subissaient de plein fouet l’impact des tarifs.
Douze États américains menés par l’Oregon ont aussi attaqué, représentés par Brian Simmonds Marshall, procureur général adjoint de l’Oregon. Ces États — Oregon, Arizona, Colorado, Connecticut, Delaware, Illinois, Maine, Minnesota, Nevada, Nouveau-Mexique, New York et Vermont — ont uni leurs forces pour défendre leurs intérêts économiques.
Le témoignage de Terry Precision Cycling était particulièrement éloquent : l’entreprise « a déjà payé 25 000 $ en tarifs imprévus cette année pour des marchandises dont Terry était l’importateur officielhas already paid $25 000 in unplanned tariffs this year for goods for which Terry was the importer of record, » et projetait des coûts de 250 000 $ d’ici la fin 2025.
« No taxation without representation » : le retour
Cette affaire illustre parfaitement le principe fondateur américain du « pas de taxation sans représentationno taxation without representation ». Les juges ont rappelé avec fermeté que « la Constitution confère au Congrès les pouvoirs exclusifs de “prélever et percevoir les impôts, droits, taxes et accises” ainsi que de “réglementer le commerce avec les nations étrangères”the Constitution assigns Congress the exclusive powers to ‘lay and collect Taxes, Duties, Imposts and Excises,’ and to ‘regulate Commerce with foreign Nations’ ».
La Cour a balayé l’argument gouvernemental selon lequel le président aurait carte blanche : « Le Congrès n’est manifestement pas autorisé à abdiquer ou à transférer à d’autres les fonctions législatives essentielles qui lui sont ainsi conférées.Congress manifestly is not permitted to abdicate or to transfer to others the essential legislative functions with which it is thus vested. »
Par ailleurs, les juges ont souligné que permettre des tarifs illimités transformerait l’IEEPA en « essentiellement une délégation illimitée de pouvoirs au présidentessentially an unlimited grant of authority for the President » — exactement ce que le Congrès avait voulu éviter en adoptant cette loi.
Impact sur le libre-échange mondial
Cette décision résonne bien au-delà des frontières américaines. Elle restaure la prévisibilité dans les échanges commerciaux internationaux et envoie un signal fort.
L’abolition de ces tarifs élimine des milliards de dollars de coûts supplémentaires pour les entreprises américaines, mais aussi des entreprises du monde entier et leurs consommateurs, car cela entrainera l’abolition des contre-tarifs. Plus symboliquement, elle réaffirme que le multilatéralisme commercial a encore des défenseurs, même au cœur du système américain.
Bonne nouvelle pour le Canada
Pour le Canada, c’est un soulagement majeur. Les tarifs de 25 % sur les produits canadiens représentaient une épée de Damoclès sur notre économie intégrée à celle des États-Unis.
Les secteurs canadiens du bois d’œuvre, de l’agriculture, de l’énergie et des produits manufacturés peuvent enfin respirer. L’incertitude qui planait sur nos exportations vient de s’évaporer.
Plus largement, cette décision valide l’approche de contestation juridique plutôt que d’escalade commerciale. Parfois, la patience et les tribunaux valent mieux que les surenchères tarifaires et les tweets rageurs.
Les contre-pouvoirs triomphent
Cette affaire démontre brillamment la résilience du système démocratique américain. Face à un exécutif qui tentait de s’arroger des pouvoirs de taxation quasi-illimités, le judiciaire a tenu bon.
Comme l’ont écrit les juges en citant les pères fondateurs : « les pouvoirs appartenant légitimement à l’un des départements ne devraient pas être exercés directement et entièrement par l’un ou l’autre des autres départementsthe powers properly belonging to one of the departments ought not to be directly and completely administered by either of the other departments ».
La beauté de cette victoire? Elle vient d’entreprises ordinaires et d’États fédérés qui ont eu le courage de dire « non » à l’arbitraire présidentiel. MicroKits, une petite entreprise, témoignait qu’« au rythme actuelat the current rates » elle « ne peut plus commander de pièces en provenance de Chine et devra suspendre ses activités une fois ses stocks épuiséscannot order parts from China and will have to pause operations when it runs out of parts ».
Ce sont ces David face au Goliath présidentiel qui ont finalement eu gain de cause. Malheureusement, au Canada, cette frontière entre les trois pouvoirs est très fine et parfois nulle – entre le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.
L’ironie de l’histoire
Il y a une délicieuse ironie dans cette affaire : Trump, qui se présentait comme le champion du « America First », s’est fait rappeler à l’ordre par les institutions américaines elles-mêmes. Les contre-pouvoirs ont simplement fait leur travail : protéger la Constitution et l’état de droit.
Comme quoi, même aux États-Unis, personne n’est au-dessus des lois. Pas même celui qui prétend les incarner.
Cependant, bien que les tarifs soient invalidés, leur suppression n’est pas forcément définitive. Il est possible d’y avoir des appels de cette décision. La situation peut donc changer ou être retardée.