Simon Leduc : Quels ont été la composition et le rôle du Conseil législatif dans la nouvelle constitution de 1867 qui était l’Acte de l’Amérique du Nord britannique?
Louis Massicotte : « La nouvelle constitution était de nature fédérale. Le principe électif de la Chambre haute fut aboli. On a remis en place le précepte de nominations par l’entremise de l’exécutif provincial du Québec. Le Conseil législatif était composé de 24 membres. Tandis que l’Ontario a tout simplement opté pour un parlement monocaméral.
Tout d’abord, au début du régime fédéral, ce sont les conservateurs qui dominaient le sénat québécois de 1867 à 1888. Ensuite, c’est le Parti libéral qui était en position de force de 1888 à 1894. Par la suite, c’est le Parti conservateur qui l’a dominé de 1894 à 1900. Ce fut le cas avec le PLQ de 1900 à 1957 et avec l’Union nationale de 1957 à 1960.
Le Conseil législatif était présent dans les gouvernements. En 1867, le gouvernement conservateur de Chauveau comptait trois conseillers législatifs sur ses sept membres. Ces derniers occupaient des fonctions importantes : le Commissaire des Terres de la Couronne, et le Commissaire de l’Agriculture et des Travaux publics et le Commissaire. De plus, à cette époque, le Président du Conseil législatif faisait partie du Cabinet fédéral. En 1873, le Cabinet Ouimet ne comptait plus que deux membres de la Chambre haute. En 1882, le Président du sénat québécois ne siégeait plus au Conseil des ministres. Il faut savoir qu’après le départ du Cabinet de Horace Archambault en 1905, aucun autre président du Conseil législatif ne sera appelé à exercer de fonctions ministérielles.
Après 1929, la deuxième chambre du Parlement québécois était représentée au Cabinet que par un ou deux ministres sans portefeuille. Il faut savoir qu’au moins un membre du Conseil législatif devait siéger au Conseil législatif. Cela prenait un ministre qui était chargé de défendre au sein du Conseil législatif les projets de loi qui arrivaient de l’Assemblée. »
Est-ce que le Conseil législatif était très actif de 1867 à 1900?
Louis Massicotte : « Les membres de cette chambre présentaient des projets de loi au Conseil. Il y a une chose qui était cruciale au début de la Confédération : le rejet par la Chambre haute de législations qui étaient transmises par l’Assemblée élue. Il y a avait des conflits importants entre les deux entités du Parlement québécois. Ils survenaient quand un parti était majoritaire à l’Assemblée législatif et l’autre l’était dans la deuxième institution. La majorité à l’Assemblée législative pouvait changer à la suite d’élections générales. Par exemple, un Conseil législatif contrôlé par les libéraux pouvait faire la vie dure à un gouvernement conservateur majoritaire et vice versa.
En 1878-1879, le libéral Joly de Lotbinière était premier ministre du Québec. Ce dernier était un homme protestant qui a pris le pouvoir dans des circonstances un peu scabreuses. Le lieutenant-gouverneur avait foutu à la porte le gouvernement conservateur et les libéraux ont été élus avec une très faible majorité. Alors, le Conseil législatif était furieux et il a pratiqué une obstruction systématique contre le régime de Joly de Lotbinière. Les Conseillers législatifs (à majorité conservatrice) ont rejeté près du tiers des projets de loi du gouvernement et la moitié des législations d’intérêt public parrainées par des députés ministériels. Les taux de rejet de la période antérieure et postérieure étaient dix fois moins élevés. La majorité libérale à la Chambre basse a voulu répliquer en votant l’abolition de la deuxième chambre. Cela requérait son approbation et celle-ci n’a pas de soutenu la mesure des députés élus. Le Conseil législatif a eu l’audace de refuser les subsides, c’est-à-dire le budget des dépenses du gouvernement. Ce dernier était très en colère face à l’obstruction du sénat québécois. Les libéraux étaient majoritaires et ils avaient quand même de la misère de faire adopter leur budget.
À l’automne 1879, le chef de l’opposition conservatrice à l’Assemblée élue qui s’appelait Chapleau a réussi à recruter 5 députés du PLQ. Donc, le gouvernement libéral a été renversé à l’Assemblée législative. Les conservateurs de Chapleau ont formé le gouvernement et l’harmonie a été rétablie entre les deux chambres du Parlement du Québec. Alors, le sénat québécois était très actif et influent de 1867 à 1900. Mais, cela va changer au début du 20e siècle.
Pour quelles raisons le Conseil législatif va perdre beaucoup d’influence entre 1900 et 1968?
Louis Massicotte : « De 1887 à 1900, les conseillers législatifs font face à un gouvernement de tendance opposée. Il a recourt à des manifestations de rejet. Or, ces dernières sont de moins en moins vigoureuses. Donc, la chambre haute du Québec a commencé son déclin à la fin du 19e siècle.
Au début du 20e siècle, l’opinion publique au Québec a constaté que les Britanniques acceptaient de moins en moins d’un organe non élu (la chambre des Lords) ait une influence sur la politique au Royaume-Uni. En 1911, le parlement britannique a adopté le « Parlement Act » qui réduisait les pouvoirs de la Chambre haute du Royaume-Uni par un veto suspensif. Donc, la Chambre des Lords pouvait encore retarder, mais plus bloquer une législation des élus. C’est un événement fondamental qui a eu un gros effet sur le statut du Conseil législatif québécois.
En 1878 et 1900, le gouvernement a proposé l’abolition du Conseil législatif. Mais ce dernier a rejeté sa propre disparition.
En 1898, la majorité conservatrice au sein du Conseil législatif (avec le soutien du Clergé catholique) a rejeté une loi pour créer un ministère de l’Instruction publique. C’était un gouvernement libéral qui voulait faire adopter une telle législation et cela aurait été une révolution à l’époque. Il a fallu attendre en 1964 avec la création du ministère de l’Éducation par les libéraux de Jean Lesage. C’est probablement la pire chose que la Chambre haute du Québec a faite durant son existence.
Après cela, les membres de cette institution ont perdu du prestige et n’ont plus fait obstacle aux travaux des élus de l’Assemblée nationale.
Comment s’est déroulée l’abolition du Conseil législatif en 1968?
Louis Massicotte : « Dans le milieu des années 60, ce dernier était dominé par l’Union nationale. En 1963, ce parti s’en est servi pour bloquer la formule Fulton-Favreau. C’était un projet de réforme constitutionnelle qui était centré sur une procédure de modification de la Constitution canadienne. Cette formule devait être ratifiée par les deux chambres du Parlement de Québec. Elle ne fut pas présentée, car tout le monde savait que le Conseil législatif allait la rejeter. Le chef de l’opposition officielle Daniel Jonhson avait donné l’instruction de le faire.
Pourtant, quand ce dernier est devenu premier ministre en 1966, il avait promis de supprimer la deuxième chambre du parlement. En décembre 1968, le gouvernement de l’Union nationale est allé de l’avant avec l’abolition de cette institution d’une autre époque. Tous les membres du Conseil ont accepté la décision du régime Johnson en échange d’une faveur. Tous les conseillers restants allaient recevoir leurs salaires pour le reste de leurs vies. Il faut savoir que ces derniers étaient nommés à vie.
Au milieu des années 80, l’ancien premier ministre Pierre-Marc Johnson a lancé une politique constitutionnelle qui s’appelait l’Affirmation nationale. Elle comportait la récréation du Conseil législatif qui aurait été élu au suffrage universel. Cette idée ne fut pas populaire. Les gens disaient que le chef du PQ voulait recréer un sénat québécois. Ce dernier a quitté la vie politique et son idée a disparue.
Il y a des gens dans le milieu régional, notamment Roméo Bouchard, qui voulaient qu’on ramène le Conseil législatif sur un autre nom : la Chambre des régions. Les 17 régions auraient eu le droit à deux sièges pour un total de 34 sièges. Je me suis opposé à ce projet, car cela n’aurait pas été démocratique pour les territoires plus peuplés.
La seule façon de ramener une deuxième chambre au parlement de Québec serait qu’elle soit élue par la population. Mais, cela créerait des tensions entre cette nouvelle institution et l’Assemblée nationale et ultimement de l’instabilité politique. C’est pour cela que les élus à Québec ne seraient pas du tout ouverts à une telle idée. »


