Depuis plus d’un an, la France est paralysée par une crise politique d’envergure. Trois premiers ministres ont été renversés par une majorité d’élus de l’Assemblée nationale. Jean-François Caron estime que le déclenchement d’élections législatives anticipées ou la démission de M. Macron sont les deux seules solutions pour mettre fin à ce cauchemar politique.
Jean-François Caron est professeur de science politique à l’Université Nazarbayev au Kazakhstan et professeur invité à l’Université américaine d’Arménie à Everan.
Simon Leduc : L’ancien premier ministre Sébastien Lecornu a démissionné après seulement un mois au pouvoir. Comment la France va se sortir de cette crise politique qui paralyse le pays depuis plus d’un an?
Jean-François Caron : « Au lendemain des dernières législatives, le pays a été plongé dans une crise politique. Maintenant, on est clairement dans une crise de régime. Il y a deux façons pour l’État français de mettre un terme à ce cauchemar. Si Macron nomme un nouveau premier ministre, ce dernier va subir le même sort que Sébastien Lecornu.
Tout d’abord, le président pourrait dissoudre l’Assemblée nationale et déclencher de nouvelles élections législatives. Mais, le camp macroniste perdrait des sièges et les socialistes pourraient en gagner davantage. Le Rassemblement national aurait des chances d’obtenir une majorité parlementaire. Ce scénario pourrait se concrétiser s’il n’y a pas de front républicain contre le RN au deuxième tour. On pourrait aussi se retrouver avec un résultat similaire que la dernière fois.
J’estime qu’Emmanuel Macron devrait opter pour cette option. Si le RN est majoritaire, le président français devrait le laisser former un gouvernement et gouverner la France. Mais, cela irait à l’encontre de ses principes. Il s’est toujours érigé en opposition au Rassemblement national. Cependant, je pense que cela serait la meilleure stratégie pour Macron. La France est ingouvernable en ce moment. Le RN n’a jamais dirigé le pays, car il a toujours été dans l’opposition. Marine Le Pen affirme qu’elle réformerait la politique française et réglerait les problèmes si son parti prenait le pouvoir.
À mes yeux, un gouvernement du RN ne serait pas si différent que les autres qui ont gouverné le pays depuis des années. Ce parti de droite identitaire ne pourrait pas fixer tous les maux de la France qui sont immenses. Dans le scénario, les électeurs du RN s’attendraient que toutes les difficultés de leur pays soient résolues par ce dernier. Donc, le RN risquerait de décevoir sa base électorale et sa cote de popularité chuterait dramatiquement. Alors, cela serait une tactique efficace pour le président Macron pour démontrer que le Rassemblement national est un parti comme les autres. Or, je ne pense pas que le chef de l’État va adopter un tel stratagème, car cela irait à l’encontre de ses principes politiques (être le rempart ultime contre l’extrême droite).
D’autre part, le président Macron pourrait démissionner de son poste. Cela forcerait la tenue d’élections présidentielles anticipées. Au premier tour, le RN serait en pole position, mais le barrage républicain pourrait le bloquer au second tour.
Le socialiste Raphaël Glucksmann et Jordan Bardella s’affronteraient probablement au deuxième tour selon les sondages. Toutes les forces politiques, l’extrême gauche, la gauche et la droite républicaine, soutiendraient probablement le candidat socialiste et barreraient la route à M. Bardella. La porte de l’Élysée s’ouvrirait à ce socialiste. »
La droite classique devrait-elle appuyer le RN lors d’un éventuel deuxième tour des prochaines présidentielles?
Jean-François Caron : « Les Républicains sont beaucoup plus proches, sur le plan idéologique, du RN, que des socialistes. Autrefois, l’ancien président Jacques Chirac disait que la droite gaulliste ne ferait jamais alliance avec l’extrême droite. À l’époque, le Front national de Jean-Marie Le Pen était un parti marginal. Il ne représentait pas une menace à la droite classique. Or, aujourd’hui, le RN est le premier parti de France et les Républicains se sont marginalisés. Donc, ces derniers marcheraient, en soutenant le RN, sur leur orgueil en reniant leur héritage politique. C’est la raison pour laquelle que ce parti ne va vraisemblablement jamais soutenir le RN au second tour.
Mais, dans un éventuel gouvernement du RN, plusieurs républicains obtiendraient des postes de ministres. Le RN voudrait utiliser leur expertise politique afin de camoufler son inexpérience du pouvoir. Mais, c’est de la pure fiction politique. »
Est-ce que le manque d’expérience politique pourrait empêcher Jordan Barella de devenir président de la France?
Jean-François Caron : « Je ne pense pas que les Français choisiraient un jeune homme sans expérience comme chef d’État. Il faut savoir que cette figure de proue de la droite identitaire n’a jamais occupé de poste politique comme député de l’Assemblée nationale. Tous les anciens présidents ont toujours eu de l’expertise politique, du Général De Gaulle à Emmanuel Macron. En conséquence, cela serait un handicap majeur pour M. Bardella dans sa quête de l’Élysée. Le RN aurait plus de chance de remporter les prochaines présidentielles avec Marine Le Pen à sa tête. Mais, pourra-t-elle se présenter? Elle devra avoir gain de cause en appel du jugement qui l’empêche actuellement de se présenter? »
