Vendredi, juin 6, 2025

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Projet de loi C-2 : la sécurité frontalière contre vos libertés

Le 3 juin 2025, le gouvernement Carney a déposé le projet de loi C-2, officiellement intitulé « Loi visant une sécurité rigoureuse à la frontière ». Sous le prétexte louable de renforcer la sécurité entre le Canada et les États-Unis, ce mammouth législatif de 14 parties cache des dispositions qui pourraient transformer radicalement le rapport entre l’État et ses citoyens.

Des pouvoirs élargis pour fouiller dans votre vie privée

Le projet de loi C-2 accorde des pouvoirs considérablement élargis aux forces de l’ordre pour accéder à vos données personnelles. La partie 14 modifie le Code criminel pour « faciliter l’accès aux renseignements de base qui seront utiles à l’enquête relative à des infractions fédérales au moyen d’un ordre de fournir des renseignements ou d’une ordonnance de communication à des personnes fournissant des services au public ».

Concrètement, cela signifie que votre fournisseur internet, votre compagnie de téléphone ou même votre banque pourront être contraints de divulguer vos informations personnelles sur simple demande d’un agent. Imaginez : un simple soupçon pourrait permettre aux autorités d’accéder à vos habitudes de navigation, vos communications ou vos transactions financières.

Plus troublant encore, le projet de loi permet aux agents « d’obtenir des données de localisation ou des données de transmission qui concernent des choses similaires à celle en lien avec laquelle des données sont autorisées ». Cette formulation volontairement floue ouvre la porte à une surveillance de masse où les autorités pourraient ratisser large sous prétexte d’enquêter sur une infraction spécifique.

Postes Canada : Votre courrier n’est plus sacré

La partie 4 du projet de loi modifie la Loi sur la Société canadienne des postes de façon particulièrement intrusive. Le texte « étend à l’ouverture de lettres le pouvoir de la Société canadienne des postes d’ouvrir des envois dans certaines circonstances ».

Jusqu’à présent, vos lettres personnelles jouissaient d’une protection particulière. Désormais, Postes Canada pourrait les ouvrir « dans certaines circonstances » qui restent à définir par règlement. Votre correspondance avec votre avocat, vos documents médicaux ou vos lettres d’amour pourraient potentiellement être scrutés par des fonctionnaires.

L’argent comptant dans le collimateur

Les parties 10 et 11 s’attaquent directement à l’utilisation de l’argent comptant. Le projet de loi « interdit à certaines entités d’accepter les dépôts en espèces de la part d’un tiers et à certaines personnes ou entités d’accepter les paiements, dons ou dépôts en espèces de 10 000 $ ou plus ».

Cette mesure, présentée comme un outil contre le blanchiment d’argent, criminalise de facto l’usage légitime de l’argent comptant. Un entrepreneur qui voudrait acheter de l’équipement usagé pour 12 000 $ cash, un collectionneur vendant sa collection de timbres ou même un parent aidant financièrement son enfant pourraient se retrouver dans l’illégalité.

Surveillance des délinquants sexuels : Un modèle inquiétant

La partie 13 modifie la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels en autorisant que « toute caractéristique physique du délinquant sexuel pouvant permettre de l’identifier puisse être consignée lorsqu’il comparaît à un bureau d’inscription ».

Cette disposition élargit considérablement les types de données biométriques que les autorités peuvent collecter. Alors que le registre actuel se limite principalement aux informations de base, cette modification ouvre la porte à la collecte d’empreintes digitales supplémentaires, de mesures anthropométriques, de caractéristiques faciales détaillées ou même de données de reconnaissance vocale.

L’objectif de protéger la société des récidivistes est indéniablement légitime. Cependant, l’absence de précisions sur les types de caractéristiques physiques concernées et les modalités de leur collecte soulève des questions importantes. Le projet de loi ne définit pas clairement quelles technologies pourront être utilisées ni comment ces données seront stockées et protégées.

Cette approche s’inscrit dans une tendance plus large d’adoption de technologies de surveillance par les gouvernements occidentaux. Si ces outils peuvent être efficaces dans la lutte contre la récidive, l’expérience montre que les systèmes de surveillance initialement conçus pour des populations spécifiques ont tendance à s’élargir avec le temps.

La question n’est pas tant de savoir si le gouvernement a des intentions cachées, mais plutôt de s’assurer que les garde-fous appropriés sont en place pour encadrer l’utilisation de ces nouvelles capacités de surveillance, aujourd’hui comme demain.

Des zones grises dangereuses pour les libertés

Le projet de loi multiplie les expressions vagues comme « dans certaines circonstances », « motifs raisonnables » ou « intérêt public ». Cette imprécision volontaire laisse un pouvoir discrétionnaire énorme aux autorités.

La partie 8, par exemple, autorise le gouverneur en conseil à « prendre un décret pour prévoir que ne seront pas examinées certaines demandes présentées au titre de cette loi ou pour suspendre l’examen de ces demandes ou y mettre fin définitivement » s’il « estime que l’intérêt public le justifie ».

Cette formulation pourrait permettre au gouvernement de suspendre arbitrairement les droits de certains groupes en invoquant un « intérêt public » défini selon ses propres critères.

L’exemption troublante des forces de l’ordre

Les parties 2 et 3 du projet de loi créent des exemptions permettant aux forces de l’ordre d’être « soustraites à l’application de toute disposition du Code criminel qui érige en infraction le complot en vue de commettre une infraction ».

Bien que présentée comme nécessaire aux enquêtes d’infiltration, cette disposition pourrait créer une police au-dessus des lois. Que se passerait-il si ces pouvoirs étaient utilisés de manière abusive ou détournés de leur objectif initial ?

Vers un État de surveillance ?

La combinaison de tous ces éléments dessine le portrait d’un État aux pouvoirs considérablement renforcés : surveillance des communications, ouverture du courrier, restriction de l’argent comptant, fichage biométrique étendu et pouvoirs d’exception pour les forces de l’ordre.

Le gouvernement Carney justifie ces mesures par la nécessité de « certaines mesures liées à la sécurité de la frontière entre le Canada et les États-Unis ». Mais force est de constater que plusieurs dispositions du projet de loi C-2 dépassent largement le cadre frontalier pour s’immiscer dans la vie quotidienne de tous les Canadiens.

L’histoire nous enseigne que les pouvoirs exceptionnels accordés en période de crise ont tendance à devenir permanents. Les citoyens canadiens ont-ils vraiment envie de troquer leurs libertés fondamentales contre une promesse de sécurité dont les contours restent flous ?

Le projet de loi C-2 a été présenté en première lecture. Il appartient maintenant aux parlementaires et à la société civile de s’assurer que la quête légitime de sécurité ne se transforme pas en abdication de nos droits démocratiques.

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Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier est journaliste pour PiluleRouge.ca. Passionné de politique depuis plus de dix ans, il s'est impliqué à plusieurs reprises sur la scène provinciale. Entrepreneur en informatique, il allie rigueur journalistique et regard critique sur l’actualité. Son approche analytique et son sens de l’humour apportent une perspective unique aux sujets qu’il couvre.

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