Santé Américaine et Espérance de Vie : Le Malentendu

La rédaction : Vincent Geloso, merci d’être avec nous aujourd’hui. Vous avez réagi à un graphique sur l’espérance de vie et les dépenses de santé publié par « Our World in Data ». Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ce graphique vous a interpellé ?

Vincent Geloso : Merci. Le graphique en question suggère que les États-Unis sont une anomalie majeure en termes de résultats de santé par rapport aux dépenses de santé. Cependant, je pense que cette interprétation est trompeuse parce qu’elle ne tient pas compte de certains facteurs non médicaux qui influencent l’espérance de vie à la naissance dans le cas des États-Unis.

La rédaction : Quels sont ces facteurs non médicaux qui faussent la perception des résultats de santé américains ?

Vincent Geloso : Trois facteurs principaux expliquent pourquoi les États-Unis semblent décevants dans ce graphique.

  1. Taux élevés d’accidents de la route et de propriété de véhicules : Les Américains conduisent beaucoup plus que les habitants d’autres pays. Le taux élevé de mortalité par accidents de la route affecte de manière disproportionnée les jeunes, ce qui réduit considérablement l’espérance de vie à la naissance. Cela n’a rien à voir avec la qualité des soins de santé.
  2. Rapport différent des décès infantiles : Comme Emily Oster l’a souligné dans une étude (« Why Is Infant Mortality Higher in the United States Than in Europe? », American Economic Journal: Economic Policy, 2016), les États-Unis enregistrent les décès infantiles différemment. Cette méthode augmente artificiellement le taux de mortalité infantile rapporté, ce qui influe sur les statistiques d’espérance de vie à la naissance.
  3. Taux élevés d’homicides : Les États-Unis ont un taux d’homicides élevé par rapport à leur niveau de revenu. Cette caractéristique est typique des Amériques, à l’exception du Canada. Comme l’explique l’étude de Sharkey et Friedson (« The impact of the homicide decline on life expectancy of African American males », Demography, 2019), les homicides touchent de manière disproportionnée les jeunes et réduisent considérablement l’espérance de vie calculée dans les tableaux.

La rédaction : Si on élimine ces biais non médicaux, les États-Unis restent-ils un cas extrême ?

Vincent Geloso : Non, pas du tout. Si nous évaluons l’espérance de vie à 65 ans, qui est bien moins affectée par ces facteurs non médicaux, les États-Unis cessent d’être un élément aberrant. Comme je l’ai montré dans un autre graphique, les données sont beaucoup plus cohérentes avec celles des autres pays à ce niveau-là.

La rédaction : Donc, selon vous, le graphique ne reflète pas la performance réelle du système de santé américain ?

Vincent Geloso : Exactement. La qualité des soins de santé aux États-Unis ne peut pas être jugée uniquement à travers ce graphique. Les trois facteurs que j’ai mentionnés sont étrangers au système de santé. Par exemple, conduire beaucoup est un problème de sécurité routière. Les homicides sont une question d’ordre public, et les méthodes de rapport des décès infantiles sont liées à des normes administratives, pas à la qualité des soins.

La rédaction : Vous avez cité une phrase humoristique concernant les États-Unis comme étant un « pays latino-américain très performant ». Pouvez-vous nous expliquer cette comparaison ?

Vincent Geloso : Bien sûr. C’est une remarque de mon collègue Bob Lawson qui souligne que les États-Unis partagent certaines caractéristiques des pays des Amériques : des taux d’homicides plus élevés que ceux des pays européens. Ce commentaire, bien qu’ironique, illustre que les États-Unis ne sont pas un pays européen mal fonctionnel, mais plutôt un pays avec des particularités sociales et culturelles qui influencent ses données.

La rédaction : En conclusion, que voulez-vous que les gens retiennent de votre analyse ?

Vincent Geloso : Ce graphique est utile pour initier un débat, mais il est incomplet. Les gens doivent comprendre que l’espérance de vie n’est pas un indicateur parfait de la qualité des soins de santé. Les facteurs non médicaux jouent un rôle important et peuvent biaiser les interprétations. Avant de critiquer le système de santé américain, il faut examiner les données avec nuance et contexte.

La rédaction : Merci, Vincent Geloso, pour cette clarification.

Vincent Geloso : Merci à vous.




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