Une société qui vieillit est une société qui se ratatine. C’est un corps frileux, perclus de rhumatismes, qui ne cherche plus l’ivresse de la conquête, mais la chaleur douillette de la routine. Elle ne rêve plus de transgresser les limites du connu, mais de prolonger sa rente en paix. Le Québec de 2025, province usée de l’intérieur, en est l’illustration caricaturale ; société féminisée, maternante, et administrée comme une garderie syndiquée pour vieillards hypocondriaques et adolescents sous Ritalin.
Le confort, l’ennemi du devenir
Dans le rêve humide des techno-fonctionnaires du ministère de l’Éducation ou de la Santé mentale jeunesse, le citoyen modèle n’a ni colère, ni ardeur. Il est éteint, paisible, insipide. Sa plus grande audace consiste à remplir une demande de bourse en ligne. Il suit un parcours balisé, du biberon réglementé à la dose mortifère en soins palliatifs, avec entre les deux une trajectoire professionnelle en silo, validée par les RH et les ergonomes du bien-être.
Mais voilà : toute jeunesse véritable commence dans la démesure. L’adolescence est insupportable, rugissante, dévorante. Et c’est précisément pour cela qu’elle est vitale. Elle incarne cette force brute de vie que les sociétés sénescentes, bureaucratiques et désincarnées craignent comme la peste. La société québécoise, qui a fait du confort une vertu et du risque une pathologie, ne sait plus que faire de sa jeunesse. Elle la gère, l’encadre, l’aseptise.
On ne félicite plus un jeune pour sa rébellion, on le scanne pour un TDAH. On ne célèbre plus son insolence, on l’envoie chez une psychoéducatrice. L’école, cette institution autrefois fondée pour transmettre la grandeur, est devenue le bras armé du pacifisme moral. Un jeune qui se défend contre un intimidateur sera rabroué : « tu n’as pas à frapper, vas en parler à un adulte ». Autrement dit : baisse les yeux, attends ton tour, reste victime.
Le règne du « clé en main » : servitude volontaire et automatisation du jugement
Notre époque est vendue comme une suite de forfaits. Tout est « clé en main » : la maison préfabriquée, l’opinion politique, la spiritualité, la sexualité même. Le citoyen ne pense plus, il sous-traite. Le jugement personnel, cette capacité cardinale de l’autonomie adulte, est devenu un luxe dérangeant. L’État, paternaliste, a tout prévu : combien vous devez épargner, quand consulter un psychologue, combien de glucides vous devez consommer, combien de grammes de CO₂ vous êtes autorisé à exhaler par jour.
Le pire, c’est que ça fonctionne. Le peuple en redemande. L’aliénation douce, quand elle s’accompagne de transferts gouvernementaux, de Netflix et de climatiseurs silencieux, est bien plus séduisante que la lutte et l’exigence. On ne veut plus former des hommes libres, mais des citoyens conformes, polis, prudents, avec une assurance responsabilité civile et une boîte de lunch végane.
Un peuple bureaucratisé jusqu’à la moelle
Le Québec, colonie de fonctionnaires se pensant patrie, a réussi le prodige de créer un peuple qui attend tout de l’État, mais méprise l’État tout en refusant d’en réduire les prérogatives. La jeunesse n’y est plus une promesse, mais une variable budgétaire. On l’observe comme un phénomène à gérer : tant de décrocheurs, tant de cas d’anxiété, tant d’ordonnances de Zoloft. Un ministre pond un plan d’action. Une cohorte de consultantes en bienveillance institutionnelle est mobilisée.
La société ne se demande pas pourquoi les jeunes vont mal, mais comment les faire taire sans bruit. Parce qu’il ne faut surtout pas déranger les retraités du triplex qui dorment à 14h pendant que les adolescents crient dans la cour d’école. Une société où des voisins appellent la police parce qu’ils entendent des cris d’enfants en récréation n’est pas une société civilisée : c’est une maison de retraite orwellienne.
La revanche de l’enseignante fatiguée et de la travailleuse sociale omnipotente
Dans ce contexte, les figures dominantes de l’État québécois ne sont plus les entrepreneurs, les bâtisseurs ou même les politiciens : ce sont les gestionnaires de petits traumatismes. Les travailleuses sociales, psychoéducatrices, et enseignantes fatiguées par le bruit sont les véritables prêtresses d’un ordre moral à visage maternel. Elles n’ont pas d’autorité charismatique, mais un pouvoir réglementaire. Leur empire s’étend du CPE à l’université.
Et leur dogme est clair : pas de vagues. Pas d’excès. Pas de drame. Pas d’échec non plus, car l’échec blesse l’estime de soi. Pas de compétition, car elle est « excluante ». Pas de punition, car elle est « archaïque ». Pas de mérite, car il est « élitiste ». On ne forme plus des esprits forts, on protège des sensibilités. On ne forge plus le caractère, on évite les blessures narcissiques.
L’audace considérée comme une pathologie
Toute tentative de sortir du rang est immédiatement interprétée comme suspecte. Un jeune qui lance une entreprise sans subvention est inconscient. Une fille qui ne veut pas aller à l’université est « désengagée ». Un garçon qui exprime une opinion tranchée est « toxique ». Un adolescent qui lit Nietzsche est vu comme un futur militant d’extrême droite, ou pire : comme un homme blanc en devenir.
Le résultat est une asphyxie collective. Les jeunes ne rêvent plus d’aller sur Mars ou de révolutionner l’humanité. Ils veulent une job pas trop stressante, un appartement pas trop cher, et un bon réseau Wi-Fi. L’État les récompense : il leur accorde des allocations, des subventions pour « projets novateurs » sur le recyclage de mégots de cigarette, et des bourses d’études pour « l’exploration inclusive de la mémoire transnonbinaire en contexte postcolonial ».
Exemples concrets : l’absurde quotidien
Dans une école de Laval, un élève est suspendu pour avoir pris la défense d’un camarade en frappant un intimidateur. Motif : comportement « agressif », nécessitant une « intervention psychosociale ».
Une université rejette un projet de conférence d’un jeune entrepreneur sur la liberté d’expression, par crainte de « réactions émotionnelles imprévisibles » dans les départements de sciences sociales.
À Sainte-Foy, des résidents du quartier réussissent à faire réduire les heures de récréation dans une école primaire à cause du « niveau sonore inacceptable » des cris d’enfants à l’heure du dîner.
Un artiste de 19 ans, refusé au CALQ pour son projet de film sans « portée identitaire significative », décide d’arrêter l’art pour devenir assistant en marketing numérique.
La sénilité du confort contre la violence de vivre
Le drame est que cette société croit bien faire. Elle croit protéger. Elle pense, sincèrement, qu’elle construit une société meilleure, plus douce, plus équitable. Mais elle tue ce qu’elle prétend aimer. Elle ne protège pas l’enfant, elle l’euthanasie symboliquement. Elle ne favorise pas l’audace, elle l’éteint à la source. Elle ne valorise pas la jeunesse, elle l’utilise comme alibi politique pour justifier davantage de structures, de règles, d’interventions, de formulaires.
Car la jeunesse, la vraie, est violente. Elle est irrationnelle, brutale, assoiffée de grandeur. Elle veut se mesurer au monde, le défier, le renverser. Elle veut créer, détruire, inventer des langages, des formes, des vies. Elle veut frapper, aimer, trahir, recommencer. Rien de cela ne peut être organisé en politique publique. Rien de cela ne peut être subventionné, normalisé, distribué sur appel de projets.
BREF…
Ce n’est pas un plaidoyer pour le chaos. C’est un appel à la grandeur. La vraie grandeur, celle qui ose affronter la souffrance, le risque, l’échec, le rejet. Celle qui refuse les slogans vides du ministère de la Jeunesse inclusive et résiliente. Celle qui préfère se battre contre le monde que d’en demander l’accréditation.
Le Québec ne s’en sortira pas par un programme gouvernemental. Il s’en sortira par l’insolence. Par la résurrection d’une jeunesse qui dira non. Non au prêt-à-penser, non à l’émasculation de l’intellect, non à la prison molle du confort subventionné. Oui à la colère, à la création, au tumulte.
Vous continuez à croire que ce sont les enfants qui sont devenus fragiles? Ce sont les adultes ; les institutions, les idéologues, les pédagogues ; qui les ont rendus incapables de traverser un corridor sans accompagnement. Ils ne sont pas fragiles : ils ont été fragilisés. Les wokes c’est leurs parents. Civilisation de plaignards et de médiocres!
Oui à l’audace, cette flamme intolérable que les vieux veulent souffler parce qu’ils ont oublié comment elle brûle.