Los Angeles a vécu trois jours d’émeutes particulièrement violentes du 6 au 8 juin 2025, transformant la métropole californienne en véritable champ de bataille autour des politiques d’immigration de Donald Trump. Ce qui a commencé comme des manifestations contre les raids de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement) s’est rapidement transformé en affrontements majeurs, poussant le président américain à déployer 2 000 membres de la Garde nationale.
L’étincelle qui a mis le feu aux poudres
Tout a commencé vendredi 6 juin lorsque les agents de l’ICE ont mené une série d’opérations d’envergure à travers Los Angeles, arrêtant 44 personnes pour infraction aux lois sur l’immigration. Ces raids, qui s’inscrivent dans la politique de Trump visant à arrêter « un minimum de 3 000 migrants par jour », ont particulièrement visé des lieux symboliques comme des entrepôts du Fashion District et des rassemblements de travailleurs journaliers près des magasins Home Depot.
L’incident le plus révélateur s’est produit à Paramount, une banlieue où 82 % des résidents sont hispaniques. Des rumeurs d’arrestations massives de travailleurs journaliers près d’un Home Depot ont circulé, déclenchant immédiatement la colère de la communauté. Ironiquement, le Department of Homeland Security a confirmé que ces rumeurs étaient « inexactes » et qu’il n’y avait pas eu de raid de l’ICE à un Home Depot dans Los Angeles. Mais le mal était fait : la peur et la méfiance avaient déjà embrasé les esprits.
Escalade de violence : de la manifestation à l’émeute
Ce qui distingue ces événements des manifestations habituelles, c’est l’intensité de la violence qui s’est rapidement développée. Les manifestants n’ont pas hésité à franchir plusieurs lignes rouges. À Paramount, des pierres et des morceaux de ciment ont été lancés contre les véhicules de la Border Patrol. Les forces de l’ordre ont riposté avec des gaz lacrymogènes, des explosifs flash-bang et des balles de poivre (dont les armes peuvent s’apparenter à du paintball, mais les billes sont remplies de poivre irritant au lieu de peinture).
C’est dimanche que la situation a vraiment dégénéré. Les images les plus frappantes montrent des véhicules autonomes Waymo complètement détruits et incendiés dans le centre-ville de Los Angeles. Les manifestants ont arraché les portes et piétiné les pare-brise avant qu’un homme masqué ne brise les vitres avec une planche à roulettes et qu’un autre utilise un lance-flammes de fortune pour mettre le feu à l’intérieur d’une voiture. Vers 17h30, certains manifestants ont même jeté des scooters électriques Lime dans les voitures en feu — un équivalent au Bixi, mais qui ressemble à des trottinettes électriques.
Multiple Waymo vehicles set ablaze here in LA
L’autoroute 101, artère vitale de Los Angeles, a été complètement bloquée par les manifestants, paralysant la circulation dans une métropole déjà connue pour ses embouteillages légendaires.
DHS and National Guard in Los Angeles have had enough and are physically pushing rioters off of federal property. A woman who refused to leave was shoved to the ground. A man was shoved back to the yellow line.
Bilan humain et matériel
Heureusement, aucun décès n’a été rapporté, mais les blessures sont nombreuses. Au moins 56 personnes ont été arrêtées selon le chef de police de Los Angeles, Jim McDonnell. Parmi les incidents les plus graves, un manifestant a aurait lancé un cocktail Molotov sur un officier tandis qu’un autre est accusé d’avoir percuté une rangée d’agents à moto, blessant l’un d’eux.
Los Angeles rioters have set a police cruiser on fire by lighting objects and dropping them from the overpass.
Du côté des forces de l’ordre, trois agents du LAPD ont été blessés, mais n’ont pas eu besoin d’être transportés. Un photojournaliste britannique, Nick Stern, a dû subir une chirurgie d’urgence après avoir été touché par un projectile non létal de 14 mm à la cuisse. Stern a déclaré : « Certains manifestants sont venus m’aider, et ils ont fini par me porter, et j’ai remarqué qu’il y avait du sang qui coulait sur ma jambe ».
À San Francisco, où des manifestations de solidarité ont eu lieu, environ 60 personnes ont été arrêtées, incluant des mineurs, et deux policiers ont été blessés, l’un d’eux ayant nécessité une hospitalisation.
La réponse musclée de Trump
Face à cette escalade, Donald Trump n’a pas hésité à sortir l’artillerie lourde. Samedi soir, il a autorisé le déploiement de 2 000 membres de la Garde nationale californienne, une décision exceptionnelle prise contre l’avis du gouverneur Gavin Newsom. Cette mobilisation fédérale de la Garde nationale d’un État contre la volonté de son gouverneur est rarissime dans l’histoire américaine moderne.
Ce type de mobilisation fédérale d’une Garde nationale sans l’accord d’un gouverneur est extrêmement rare. Il faut remonter à la lutte pour les droits civiques dans les années 1960 — notamment à Little Rock (1957) et Birmingham (1963) — pour retrouver des précédents similaires. Dans le cas présent, Trump s’est appuyé sur le Title 10, Section 12406 du U.S. Code, sans invoquer formellement l’Insurrection Act, ce qui soulève des critiques juridiques. Des experts du Brennan Center et de Georgetown estiment que cette décision « teste les limites du pouvoir présidentiel » et risque de créer un précédent.
Trump a justifié sa décision avec sa rhétorique habituelle, déclarant dimanche avant de monter à bord d’Air Force One en parlant des provocations et des attaques des manifestants et des émeutiers envers les forces de l’ordre :
Ils crachent, et pire encore — vous savez ce qu’ils leur lancent, pas vrai ?
Et quand ça arrive, j’ai une petite formule : « Ils crachent, on frappe. » Et je leur ai dit : personne ne crachera sur nos policiers, personne ne crachera sur nos militaires. Ce qu’ils font, c’est courant. Ils s’approchent à quelques centimètres et se mettent à leur cracher au visage. Ça arrive. Et ils se font frapper très fort.
Donald Trump — Président des États-Unis
.@POTUS on the LA riots: « They spit, we hit. » 🔥
Sur sa plateforme Truth Social, Trump a ensuite annoncé des mesures encore plus drastiques, ordonnant à ses secrétaires à la Sécurité intérieure, à la Défense et à la Justice de « prendre toutes les mesures nécessaires pour libérer Los Angeles de l’invasion des migrants et mettre fin à ces émeutes de migrants ».
Le choc des légitimités
Cette crise révèle un affrontement fondamental entre différentes conceptions de l’autorité. D’un côté, l’administration Trump invoque la suprématie du droit fédéral en matière d’immigration. Stephen Miller, conseiller principal de la Maison-Blanche, a été particulièrement direct envers la mairesse de Los Angeles Karen Bass : « Vous n’avez absolument rien à dire. La loi fédérale est suprême et elle sera appliquée ».
De l’autre côté, les autorités locales californiennes dénoncent ce qu’elles perçoivent comme un abus de pouvoir fédéral. Le gouverneur Newsom a annoncé qu’il déposerait une poursuite dès lundi, qualifiant la mobilisation de la Garde nationale d’« acte illégal, acte immoral, acte inconstitutionnel ». Il accuse Trump de fabriquer une crise pour justifier une démonstration de force autoritaire.
Le gouverneur Newsom a annoncé qu’il déposerait une injonction dès lundi. Son administration invoque notamment le Posse Comitatus Act, qui interdit l’usage de forces militaires fédérales pour faire appliquer les lois civiles intérieures sans base légale claire. Comme l’Insurrection Act n’a pas été invoquée, plusieurs juristes estiment que la légalité du déploiement est incertaine. L’ACLU et d’autres organisations ont apporté leur appui au recours, affirmant que la mesure représente un « abus de pouvoir fédéral » et menace l’équilibre entre les États et Washington.
La mairesse Bass, dont la ville se présente comme un « sanctuaire » pour les immigrants, a condamné les raids comme des « tactiques terroristes » qui « sement la terreur dans nos communautés ». Les 15 membres du conseil municipal ont publié une déclaration commune affirmant : « Los Angeles a été construite par des immigrants et prospère grâce aux immigrants ».
Les enjeux derrière la fumée
Au-delà du spectacle, cette crise soulève des questions fondamentales sur l’immigration légale versus illégale. Les opérations de l’ICE ont effectivement ciblé des individus en situation irrégulière, avec 118 arrestations en une semaine à Los Angeles. Le Department of Homeland Security a précisé que parmi ces arrestations figuraient « cinq personnes identifiées comme membres de gangs » avec des antécédents criminels incluant « trafic de drogue, agression et vol ».
Cependant, les critiques soulignent que ces opérations affectent aussi les personnes résidant légalement dans le pays, y compris certaines qui détiennent la résidence permanente, créant un climat de peur généralisé dans les communautés immigrantes.
Le gouverneur Newsom a tenté de nuancer sa position, déclarant : « Je n’ai aucun problème à traquer les criminels. Nous collaborons avec l’ICE » tout en ajoutant que plus de 10 000 détenus ont été remis à l’ICE depuis 2019. Cependant, il critique le ciblage de « résidents sans papiers non criminels » — un euphémisme pour des immigrants illégaux.
Une stratégie politique calculée?
Plusieurs observateurs, dont Newsom lui-même, suggèrent que cette crise pourrait servir les intérêts politiques de Trump. « C’est le maître de la distraction. C’est le commandant du chaos », a déclaré le gouverneur, évoquant les difficultés de Trump avec son projet de loi fiscale au Congrès et ses tensions avec Elon Musk.
Cette théorie trouve un certain écho dans le timing et l’ampleur de la réponse fédérale. Déployer 2 000 soldats de la Garde nationale pour des manifestations, même violentes, dans une seule ville américaine est une mesure exceptionnelle qui génère automatiquement une couverture médiatique massive.
Des analystes politiques, dont ceux du Brookings Institution, notent que l’annonce a coïncidé avec les difficultés du président à faire adopter son nouveau plan fiscal au Congrès et les critiques persistantes sur ses liens avec Elon Musk. La médiatisation intense de la crise a permis de recentrer l’attention nationale sur une thématique électoralement porteuse pour Trump : l’immigration. Cette tactique, selon certains observateurs, s’inscrit dans une logique de gouvernance par le conflit déjà théorisée par certains anciens membres de son administration.
L’avenir incertain
Alors que la situation semble se calmer, les tensions sous-jacentes demeurent. Trump a promis de poursuivre ses opérations d’immigration avec encore plus de vigueur, tandis que la Californie se prépare à une bataille juridique prolongée sur les limites du pouvoir fédéral.
Cette crise à Los Angeles pourrait annoncer d’autres affrontements similaires dans d’autres villes sanctuaires américaines. Elle illustre aussi la polarisation extrême de la société américaine sur la question migratoire, où même la distinction entre immigration légale et illégale devient un enjeu de bataille politique.
Juridiquement, l’affaire pourrait aller jusqu’à la Cour suprême si la Californie obtient une injonction. Plus largement, plusieurs constitutionnalistes craignent qu’une telle centralisation du pouvoir présidentiel sur la sécurité intérieure ouvre la voie à d’autres interventions unilatérales dans les États opposés à la Maison-Blanche.
Une chose est certaine : les images de véhicules en flammes et de soldats de la Garde nationale dans les rues de Los Angeles resteront gravées dans les mémoires, alors que la question de l’immigration continue de déchirer le tissu social du pays.