Le 16 juillet 2025 marque le moment où la CAQ a reculé de nouveau sous la pression syndicale, révélant les limites de la stratégie caquiste dans le secteur de l’éducation. Après un mois de grogne, le gouvernement Legault a fait un volte-face en annonçant une enveloppe de 540 millions de dollars destinée aux services aux élèves.
Des restrictions qui font grincer des dents
Tout a commencé en juin 2025 lorsque le ministre Drainville a ordonné des restrictions budgétaires de 570 millions de dollars aux centres de services scolaires pour l’année 2025-2026. Une décision qui a aussitôt provoqué une levée de boucliers dans le réseau scolaire québécois.
L’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES) n’a pas mâché ses mots, qualifiant ces coupes de « draconiennes ». Sa présidente, Kathleen Legault, déplorait que les premières victimes soient « les familles en situation de vulnérabilité » et « les enfants à besoins particuliers ».
Une pression syndicale efficace, mais sans remise en question
La riposte ne s’est pas fait attendre. Une coalition s’est formée, regroupant comités de parents, directions d’établissements, personnel de direction d’écoles et syndicats. Cette mobilisation tous azimuts a pris des proportions inattendues.
Une pétition sur le site de l’Assemblée nationale réclamant l’annulation des compressions a récolté plus de 158 000 signatures, un chiffre qui a visiblement secoué le gouvernement. Sur les réseaux sociaux, un mouvement invitait les utilisateurs à modifier leur photo de profil pour une image mentionnant « Ensemble, unis pour l’école ».
La FTQ a même organisé une manifestation devant le bureau du premier ministre, avec son secrétaire général Denis Bolduc déclarant : « Ce qu’on vit présentement, c’est le résultat de l’incompétence de la CAQ ».
Richard Bergevin, président de la Fédération des syndicats de l’enseignement, a résumé l’urgence de la situation : « Un enfant de 7 ans qui a des difficultés de lecture, il doit recevoir les services maintenant. Ce n’est pas dans trois ans, quand les finances publiques vont mieux aller, qu’on peut lui donner le service, c’est maintenant qu’on doit lui donner ». Un discours émotionnel, certes, mais qui évite la question de fond : comment s’assurer que l’argent injecté atteigne réellement les élèves, et non l’appareil administratif?
L’annonce des 540 millions : un recul calculé
Sous pression, le ministre Drainville a cédé le 16 juillet. « Le dernier mois nous a permis de consulter les organismes scolaires et d’être à l’écoute du terrain », a-t-il déclaré. « On a entendu les préoccupations et les besoins ».
La nouvelle enveloppe de 540 se répartit comme suit : 425 millions versés au réseau public, 29 millions pour les écoles privées, et 86 millions pour une vingtaine de centres de services scolaires.
Des conditions strictes pour éviter le « bar ouvert »
Conscient que cette volte-face pourrait être perçue comme un signe de faiblesse, le ministre a tenu à préciser que ce n’était « pas un bar ouvert ». Des conditions strictes s’appliqueront :
- Chaque centre de services scolaire doit démontrer qu’il a fait des efforts pour réduire ses dépenses administratives
- Les centres doivent s’engager à ce que l’argent serve uniquement aux services aux élèves
- Des redditions de comptes seront exigées
Reste à voir si ces conditions seront réellement suivies d’effets. Le passé récent n’inspire pas confiance : plusieurs centres de services scolaires ont vu leurs dépenses administratives exploser, sans que cela se traduise par des améliorations tangibles sur le terrain.
Une perspective économique à considérer
Dans ce débat souvent émotionnel, une réalité économique mérite d’être soulignée. Selon la Fédération des établissements d’enseignement privés (FÉEP), un élève dans le privé coûte à Québec 48 % de ce que coûte un élève au public. Cette donnée, peu évoquée, soulève une question incontournable sur l’efficience des dépenses publiques en éducation.
Les écoles privées subventionnées reçoivent 60 % de ce qui est versé à l’école publique pour un élève régulier, mais les parents assument les 40 % restants plus les frais de scolarité variant entre 15 $ et 25$ par jour d’école. Cette formule permet au gouvernement de réaliser des économies substantielles qui peuvent être réinvesties dans le réseau public.
Cette situation soulève une question que peu osent poser : le système public actuel est-il capable de gérer efficacement les ressources, ou bien les hausses de budget profitent-elles surtout à une bureaucratie surdimensionnée? Pour les contribuables, l’enjeu est double : soutenir une éducation de qualité, tout en exigeant des résultats concrets et mesurables.
Des réactions mitigées malgré la victoire
Malgré cette victoire syndicale apparente, les réactions du milieu scolaire restent prudentes. Le président de la Fédération des syndicats de l’enseignement note que le gouvernement « ne réinjecte pas l’ensemble des montants qu’ils ont coupés, mais plutôt qu’une portion ».
La CSN, pour sa part, estime que le gouvernement « ne doit pas s’attendre à recevoir des fleurs » après avoir « agi d’une façon aussi irresponsable ». Le député péquiste Pascal Bérubé, qui a parrainé la pétition, affirme que ces coupes étaient « une erreur » et que le gouvernement a tenté de « passer ça en douce durant l’été ».
Une leçon de gouvernance moderne
Cette saga des 540 millions illustre parfaitement les défis de la gouvernance à l’ère numérique. Dans un contexte où l’opinion publique peut se mobiliser rapidement grâce aux réseaux sociaux, les gouvernements doivent composer avec une pression constante et immédiate.
En croyant pouvoir manœuvrer l’éducation comme n’importe quel autre dossier budgétaire, la CAQ a sous-estimé la sensibilité du sujet. Au Québec, l’école n’est pas un terrain où les décisions approximatives passent inaperçues.
Cette controverse met en lumière un malaise bien plus profond : l’impression persistante que chaque dollar dépensé en éducation sert davantage à faire tourner la machine qu’à améliorer concrètement les services aux élèves. Augmenter les budgets est facile politiquement — mais encore faut-il que l’argent serve efficacement. Ce que cette affaire démontre, c’est que ni les compressions mal préparées du gouvernement, ni les réflexes défensifs des syndicats ne répondent aux attentes des citoyens.
Le contribuable québécois est en droit d’exiger plus : des résultats tangibles, une gestion rigoureuse, et une éducation qui respecte autant les élèves que ceux qui la financent.