Dimanche, août 17, 2025

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On a amplement discuté au cours des derniers jours du caractère résolument trop à gauche du projet souverainiste québécois et à quel point les tentatives avortées de convergence entre le Parti Québécois et Québec Solidaire sont des repoussoirs pour les gens de la droite politique. Bien évidemment, les souverainistes s’en défendent et se plaisent à répéter que la souveraineté transcende les lignes idéologiques. Si seulement ce qu’ils disent n’était pas autant à l’opposé de leurs propositions politiques.  

La question qui demeure toutefois la plus fondamentale et à laquelle il faut s’intéresser tourne autour de la dynamique que les souverainistes entretiennent entre, d’une part, la liberté individuelle et, d’autre part, la préservation de la culture québécoise. Précisons d’emblée qu’il est impossible de dissocier ces deux valeurs, dans la mesure où la première ne serait tout simplement pas possible sans la seconde. En effet, l’expression de notre liberté individuelle n’est pas envisageable sans notre capacité à pouvoir juger les différentes conceptions de la vie bonne qui se présentent à nous et de déterminer lesquelles sont les plus adaptées à ce que nous sommes ou désirons être. Or, cette capacité à effectuer ces choix va dépendre du filtre culturel à l’intérieur duquel nous sommes issus : filtre qui privilégiera bien évidemment certaines croyances collectives, normes et visions particulières de la vie bonne au détriment d’autres perceptions de ce qui est valable. Cela fait donc en sorte que nos choix ne sont jamais réellement libres, mais qu’ils sont plutôt tributaires du monde au sein duquel nous avons grandi. Sans culture sociétale, la liberté individuelle ne serait qu’une simple notion théorique, puisque sans elle l’individu serait alors obligé de faire des choix sans avoir à sa disposition les moyens de les évaluer. Il serait alors complètement démuni face aux choix qui se présentent à lui. Voilà en quelques mots en quoi consiste la thèse du nationalisme libéral à laquelle je me réclame : une vision du monde qui n’est nullement hostile à la défense et à la reconnaissance des cultures.

Par contre, il faut être bien conscient que si notre culture nationale nous donne les outils qui nous permettent de juger les décisions qui s’offrent à nous, encore faut-il que cette culture n’en vienne pas à créer des contraintes internes qui risqueraient alors de brimer de manière déraisonnable la capacité des individus à faire des choix libres. La ligne peut donc être très fine entre nationalisme libéral et nationalisme anti-libéral. Et voilà le grand enjeux philosophique qui m’oppose aux souverainistes. Bien que les cultures sociétales soient essentielles à l’épanouissement des Hommes, il n’en reste pas moins que celles-ci ne sont au final que de simples instruments au service d’un bien premier qui demeure supérieur à toute autre considération, à savoir la liberté individuelle. Dans cette perspective, s’il y a tout lieu de célébrer une culture sociétale qui est ouverte sur le monde et qui donne à ses membres le filtre nécessaire à leur capacité de devenir des agents autonomes, il est en revanche nécessaire d’être davantage critique à l’égard de celles qui tendent à enfermer leurs membres à l’intérieur du simple filtre culturel national.  

Or, où se situe le souverainisme québécois au niveau de cette tension? Clairement dans la seconde catégorie puisque ses défenseurs tendent à accorder une valeur supérieure à la culture plutôt qu’à la liberté individuelle. Bref, une façon de voir les choses qui est aux antipodes du nationalisme libéral. Afin de s’en convaincre, il suffit de voir leur attitude remplie de dédain envers ceux et celles qui exigent de savoir de quelle manière un Québec souverain défendrait les libertés individuelles. Cette question, pourtant fondamentale, est secondaire à leurs yeux. Ce signe est révélateur du rôle de l’individu au sein d’une société.

Il y a lieu de s’inquiéter à la lumière de leur rhétorique des dernières années qui tend à présenter le monde extérieur comme une menace existentielle auquel le peuple québécois est confronté. Pareille vision d’un Québec assiégé et incapable de se défendre sans les pouvoirs régaliens d’un état souverain ne contribue au final qu’à projeter l’image d’un projet politique désireux de se refermer sur lui-même. Bref, un projet nationaliste de la survivance dont le seul objectif consiste à placer la culture québécoise sous cloche afin de la protéger coûte que coûte, incluant au détriment des individus et de leur liberté.

Ce constat me renvoie donc à cette question fondamentale : une fois « l’obstacle canadien » éliminé à la suite d’une victoire référendaire, quelles seront les mesures que les souverainistes entendent mettre en place afin de protéger la culture québécoise? Cette question n’a rien de trivial, puisqu’elle conditionne la direction que prendrait un Québec souverain, à savoir une société résolument libérale qui placerait l’individu et ses choix au centre de tout (y compris sa capacité à lui donner les moyens de s’en extraire si cela est son choix) ou une société anti-libérale comportant des relents de religiosité où l’individu serait alors condamné à n’être qu’un simple rouage au service d’une fin qui le dépasse et qu’il doit servir. De quelle manière un Québec souverain permettra-t-il aux individus de grandir dans un environnement qui valorise bien évidemment la culture québécoise sans pour autant présenter le monde extérieur comme une menace, mais plutôt comme un espace avec des opportunités à saisir et au sein duquel ils peuvent s’y émanciper? Difficile de faire preuve d’optimisme quand les chantres du souverainisme québécois vivent dans un monde dominé par la paranoïa et où ils se plaisent à présenter l’anglais (qu’on le veuille ou non, l’outil par excellence d’émancipation dans le monde d’aujourd’hui) comme une menace et une pente glissante menant à l’assimilation, ou bien encore « l’Autre » comme un être dont on doit se méfier en raison de ses croyances étranges aux nôtres. Encore une fois, le simple fait de considérer cette question comme une « condition » que les gens de la « droite de Québec » imposeraient à la souveraineté en dit long sur la nature du projet souverainiste. Certes, même si la liberté individuelle (bien premier par excellence) est indissociable de la défense des cultures, il est néanmoins aisé de sombrer dans une logique politique où le collectif en vient à primer sur tout le reste. Le souverainisme québécois en est malheureusement une preuve éclatante et une raison pour laquelle il serait inconcevable de donner à ses défenseurs un chèque en blanc.

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Jean-François Caron
Jean-François Caron
Jean-François Caron est un politologue canadien, actuellement professeur agrégé au Département de science politique et de relations internationales de l'Université Nazarbayev au Kazakhstan. Titulaire d'un doctorat en science politique de l'Université Laval obtenu en 2010, ses recherches portent principalement sur l'évolution historique de la politique étrangère du Canada et son rôle dans la formation de la conscience nationale. Son expertise englobe également les politiques étrangères de la Russie et de la Chine, ainsi que les questions liées à l'autoritarisme. Parmi ses publications notables figurent "Affirmation identitaire du Canada: politique étrangère et nationalisme" (2014) et "Marginalisé: Réflexions sur l’isolement du Canada dans les relations internationales" (2022).

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