Le mouvement souverainiste aime se présenter comme le projet de liberté par excellence. Mais à bien l’observer, il s’est transformé en son exact contraire : une communauté fermée, un milieu sectaire persuadé de détenir la vérité absolue. Et je parle ici en connaissance de cause. Je suis né et j’ai grandi dans une secte jusqu’à mes 21 ans. J’en connais les réflexes, les mécanismes, les certitudes inattaquables. Et je les retrouve aujourd’hui, presque à l’identique, dans le discours souverainiste contemporain.
Car qu’est-ce qu’une secte, sinon un univers où toute critique est interdite? Celui qui questionne, celui qui nuance, celui qui doute est aussitôt frappé d’anathème. Les mots sont connus : « fédéraliste », « fédéraste », « traître », « vendu », « complice de l’assimilation ».
La rhétorique n’a qu’une fonction : séparer les purs des impurs, excommunier les hérétiques, fabriquer un ennemi intérieur. C’est une logique d’exclusion, pas une logique nationale.
Et pourtant, le constat est frappant : le mouvement plafonne en moyenne à 35 % dans les sondages. Loin, très loin du seuil décisif de 50 %. Les souverainistes savent pertinemment qu’ils devront rallier un vaste éventail de courants de pensée pour espérer franchir la ligne. Mais que font-ils? Ils ferment la porte. Ils rejettent. Ils ridiculisent. Ils préfèrent se barricader dans la certitude d’avoir raison plutôt que d’accepter l’idée même d’écouter et de convaincre avec bienveillance. C’est le destin d’un clan, pas celui d’un peuple.
La réaction à la sortie de Lucien Bouchard en est la démonstration éclatante. Hier, l’ancien premier ministre a simplement exprimé son scepticisme devant la perspective d’un troisième référendum. Qu’a-t-on vu aussitôt? Les gardiens du temple, Mathieu Bock-Côté en tête, se sont lancés dans une entreprise de lynchage symbolique. On a traité Bouchard comme un hérétique. On essaie de minimiser son rôle dans le référendum de 1995. C’est le réflexe sectaire par excellence : celui qui s’écarte de la ligne doit être dénoncé et crucifié.
Et il y a plus grave encore. Car à cette logique d’excommunication s’ajoute une agressivité permanente, une volonté d’enfoncer leurs convictions dans la gorge de tous. Toujours le même discours binaire : « Tu es avec nous ou tu es contre nous. » Mais rien n’écœure plus les Québécois que de se faire forcer à croire en quelque chose. Le rejet fracassant du catholicisme par ces derniers lors de la Révolution tranquille devrait leur servir de leçon.
À force de toujours attaquer, de toujours sommer, de toujours caricaturer ceux qui ne marchent pas au pas, le mouvement ne rallie personne. Il dégoûte. Il pousse nombre de Québécois à se dire : « Laissez-nous tranquille. Calissez-nous patience avec vos sermons. »
Un projet d’indépendance devrait être une école de liberté. Il devrait respirer la pluralité, la générosité, la capacité de rassembler. Mais enfermé dans ses certitudes, le mouvement souverainiste s’est métamorphosé en petit clergé idéologique, persuadé d’être le seul à comprendre, le seul à voir juste, le seul à détenir la vérité. Tant qu’il restera prisonnier de ses réflexes sectaires, il condamnera lui-même son propre rêve.
On ne fonde pas un pays en excommuniant. On le fonde en rassemblant.