IAN SÉNÉCHAL | Alors que la liberté d’expression et l’accessibilité des élus sur les plateformes numériques sont au cœur des préoccupations démocratiques, Yves-François Blanchet, chef du Bloc Québécois, se retrouve sous le feu des critiques pour ses pratiques de blocage répétées sur X (anciennement Twitter). Cette controverse soulève des questions quant à la gestion de sa présence en ligne et les impacts potentiels sur l’image et les appuis du Bloc, en particulier chez les jeunes.
Des analystes et journalistes bloqués sans détour
Plusieurs personnalités publiques ont récemment été victimes de cette pratique. Dimitri Soudas, analyste politique reconnu, a partagé sur X qu’il avait été bloqué par Blanchet avec un commentaire ironique : « Que vais-je faire maintenant? Culture de l’annulation. » Yves-François Blanchet a justifié ces blocages par des accusations de partisanerie : « Pourtant, il est un commentateur partisan, sans plus, et sans le recul que le mandat suggère. » Cette déclaration n’a pas manqué de provoquer des réactions. Bruno Guglielminetti, journaliste et animateur, a qualifié ce geste de « malhabile », ajoutant : « Cela ne donne pas une très bonne image de sa conception de la liberté d’expression. »
Parmi les autres personnes bloquées figurent Ian Sénéchal et Frank, animateurs du podcast politique Ian & Frank, qui rejoint 12 000 auditeurs par jour. Patricia Vincent, animatrice populaire à Radio X, a elle aussi été exclue par Blanchet après avoir critiqué son appui à une loi controversée. Elle a commenté avec dérision : « Il m’a bloqué. Ben coudonc. » Enfin, des jeunes militants indépendantistes, comme Antoine Arbour, se sont également retrouvés privés d’accès après avoir exprimé des divergences d’opinion : « Pourquoi le chef du Bloc bloque-t-il un indépendantiste convaincu? Ça en devient ridicule et enfantin. »
Des explications jugées insuffisantes
Blanchet a tenté de justifier ces blocages à plusieurs reprises. En 2021, il déclarait : « Quand je “bloque” des gens, c’est parce que leurs publications ne m’intéressent pas (faux comptes, personnel politique, injures…). Ça ne les empêche en rien de les publier. » Cependant, les critiques dénoncent une pratique qui va à l’encontre des principes de transparence et d’ouverture essentiels pour un élu. Pour plusieurs observateurs, la fonction de mise en sourdine offerte par X, moins intrusive que le blocage, aurait pu être utilisée.
Une comparaison édifiante avec l’affaire Guilbeault-Levant
Cette controverse rappelle une affaire récente impliquant le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, condamné par la Cour fédérale pour avoir bloqué Ezra Levant, fondateur de Rebel News. La cour a estimé que le compte de Guilbeault, bien qu’autoproclamé personnel, servait des fonctions officielles et qu’en bloquant Levant, il violait ses droits constitutionnels à la liberté d’expression et à l’accès à des informations gouvernementales. Le ministre a été sommé de débloquer Levant et de couvrir 20 000 $ de frais juridiques.
Bien que le compte de Blanchet ne soit pas officiel à proprement parler, les critiques arguent qu’en tant que chef d’un parti politique, il porte une responsabilité morale et politique similaire. Michael Geist, professeur de droit, avait alors souligné dans le cadre de l’affaire Guilbeault : « Les responsables gouvernementaux utilisent ces plateformes pour des déclarations officielles et essentiellement pour les affaires du gouvernement, et cela devrait être accessible à tous. »
Un risque pour l’avenir du Bloc Québécois?
Cette pratique de blocage, perçue par certains comme autoritaire et contre-productive, pourrait avoir des répercussions politiques importantes. Le Bloc Québécois peine déjà à capter l’attention des jeunes, un segment de la population où Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur, domine largement. Selon les sondages récents, Poilievre est en avance chez les 18-34 ans au Québec, une tendance inquiétante pour le Bloc.
Bloquer massivement des utilisateurs sur X, dont de jeunes électeurs et des militants indépendantistes, risque d’aggraver l’impression que le Bloc est déconnecté des réalités et des aspirations des nouvelles générations. Pour un parti qui aspire à incarner la voix des Québécois sur la scène fédérale, cette stratégie numérique pourrait s’avérer coûteuse.
En conclusion, si la gestion des critiques sur les réseaux sociaux représente un défi de taille, la solution ne réside probablement pas dans une pratique de blocage systématique. Au contraire, l’ouverture au dialogue, même face à des opinions divergentes, pourrait être l’opportunité pour le Bloc Québécois de démontrer sa capacité à connecter avec l’électorat, en particulier les jeunes.