Quand Chrystia Freeland célèbre un désastre économique

IAN SÉNÉCHAL | Le tweet récent de la ministre des Finances, Chrystia Freeland, soulève des préoccupations majeures quant à sa compréhension des enjeux économiques actuels. Voici ce qu’elle a déclaré, traduit de l’anglais :

« La Banque du Canada réduit à nouveau les taux d’intérêt—faisant du Canada le premier pays du G7 à réduire les taux cinq fois. Cela signifie que vos hypothèques coûteront moins cher, que les entreprises pourront investir davantage et que notre économie pourra devenir plus forte pour tout le monde. »

Derrière cet optimisme apparent se cache une méconnaissance inquiétante des dynamiques économiques et des conséquences potentielles d’une telle politique. Contrairement à ce qu’avance Freeland, une baisse des taux d’intérêt en période de déficits massifs et de déclin du PIB réel par habitant n’est pas une bonne nouvelle.

Une économie affaiblie, des Canadiens prudents

Les données économiques récentes montrent une économie en difficulté. Le PIB réel par habitant est en baisse pour le sixième trimestre consécutif, signe que la richesse relative des Canadiens diminue. Face à cette réalité, les Canadiens réagissent en adoptant des comportements d’épargne plus prudents, exacerbés par ce qu’on appelle l’effet ricardien en économie.

L’effet ricardien, formulé par l’économiste David Ricardo, suggère que lorsque les ménages observent un gouvernement accumuler des déficits massifs, ils anticipent des hausses d’impôts ou des réductions de services publics dans le futur pour combler ces déficits. En conséquence, ils épargnent davantage et consomment moins, sapant ainsi les effets stimulants des politiques gouvernementales. C’est exactement ce qui se passe au Canada aujourd’hui : les Canadiens épargnent par précaution, limitant les effets positifs attendus des baisses de taux sur la consommation et l’investissement.

Une politique monétaire symptomatique d’une faiblesse économique

Freeland prétend que la baisse des taux permettra de réduire les coûts hypothécaires et d’encourager les investissements des entreprises. Pourtant, cette politique reflète davantage une tentative désespérée de stimuler une économie anémique qu’un signe de bonne santé. Les baisses répétées des taux d’intérêt indiquent que d’autres leviers économiques, comme les politiques budgétaires ou structurelles, ont échoué à relancer l’économie.

Trois problèmes majeurs découlent de cette situation :

  1. Les ménages déjà endettés : Avec l’un des taux d’endettement des ménages les plus élevés du G7, inciter à davantage de crédit pourrait aggraver les vulnérabilités financières des Canadiens. Une hausse future des taux ou un choc économique pourrait entraîner des faillites en cascade.
  2. Un signal de faiblesse : Réduire les taux d’intérêt en série est perçu comme un aveu d’échec des politiques économiques. Au lieu de rassurer, cela alimente l’incertitude sur la capacité du Canada à gérer ses défis structurels, tels que le manque de productivité ou la faible diversification économique.
  3. L’effet ricardien à l’œuvre : Les déficits massifs, comme l’abandon par Freeland de l’objectif de maintenir le déficit sous la barre des 40 milliards de dollars en 2023-2024, exacerbent la prudence des ménages. En épargnant davantage, les Canadiens neutralisent les effets escomptés des baisses de taux sur la croissance économique.

L’incohérence budgétaire : un cercle vicieux

Comme le rapporte La Presse, Chrystia Freeland a abandonné l’objectif de réduire le déficit à 40 milliards de dollars, préférant désormais se concentrer sur la stabilisation du ratio dette/PIB. Si cette nouvelle ancre budgétaire peut rassurer à court terme les agences de notation, elle ne masque pas l’absence d’une vision économique claire pour le pays.

Cette gestion incohérente entraîne un cercle vicieux. Les ménages, voyant le gouvernement s’endetter massivement, épargnent par prudence. Cette réduction de la consommation freine la croissance, forçant le gouvernement et la Banque du Canada à multiplier les politiques monétaires accommodantes. Or, ces politiques ne peuvent compenser les déficits structurels en matière d’innovation, de productivité et de diversification économique.

Une leçon à tirer

Chrystia Freeland doit comprendre qu’une baisse des taux d’intérêt est rarement une raison de se réjouir, surtout lorsqu’elle est motivée par des faiblesses économiques profondes. Au lieu de promouvoir un optimisme mal avisé, elle devrait concentrer ses efforts sur des réformes structurelles pour renforcer l’économie canadienne.

L’effet ricardien, qui pousse les Canadiens à épargner davantage en période de déficits massifs, est une conséquence directe de la politique budgétaire inconséquente du gouvernement Trudeau. À terme, cet effet risque de neutraliser toute tentative de relance économique basée sur la consommation ou l’investissement privé. Si Freeland continue de présenter ces baisses de taux comme une victoire, elle ne fera que démontrer son incapacité à comprendre les vrais défis auxquels le Canada est confronté.



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