Depuis quelque temps, je parle souvent de déresponsabilisation institutionnalisée. Et plus j’y pense, plus je réalise que c’est ça, le vrai cancer de notre époque. C’est insidieux, normalisé, et profondément enraciné dans la culture des institutions — mais surtout dans celle des individus. On en parle rarement comme d’un problème collectif, alors qu’il est devenu le carburant de notre déclin civique.
On récolte ce qu’on excuse
On aime se raconter que tout vient d’en haut : des gouvernements laxistes, des programmes sociaux mal conçus, des bureaucrates qui noient le gros bon sens sous les rapports PowerPoint. Et tout ça est vrai… mais incomplet. Parce que la vérité qui dérange, c’est que la déresponsabilisation, on y participe tous. C’est devenu un sport national : chercher un coupable ailleurs. Le système, l’élite, les baby-boomers, le capitalisme, l’étatisme, le colonialisme, le voisin, le prof, le boss — bref, n’importe qui sauf soi-même.
C’est plus facile de se dire victime que de faire face à ses propres choix. Plus confortable de crier à l’injustice que de reconnaître qu’on s’est planté. On exige des droits à la tonne, mais dès qu’un devoir se pointe le nez, on appelle ça de la violence symbolique. Le résultat? Une société molle, où les conséquences sont diluées, les responsabilités reportées, et les problèmes renvoyés à demain.
Et pendant ce temps, on légifère, on subventionne, on déresponsabilise encore davantage. On crée des programmes qui récompensent l’échec, qui institutionnalisent le contournement de l’effort, qui consolident l’idée que l’État est responsable de tout, sauf de ce qu’il devrait réellement faire. On paie les gens à ne pas choisir. À ne pas risquer. À ne pas se relever. Des exemples? Les subventions aux entreprises en fin de vie comme Lion Électrique en sont un bon.
Comme le disait Thomas Sowell : « You cannot subsidize irresponsibility and expect people to become more responsible. » Ce n’est pas qu’une ligne brillante : c’est un principe fondamental de toute société libre et saine. Quand on protège les individus des conséquences de leurs décisions, on leur vole leur autonomie. On les condamne à la dépendance, à l’amertume, à l’inaction. C’est ce que Germinal G. Van appelle la culture de l’assistanat.
Tant que l’individu ne reprendra pas conscience qu’il est responsable de sa vie, de ses choix, de ses erreurs et de ses efforts, il n’y a rien à espérer de plus haut. Rien. Si on attend que nos politiciens deviennent des adultes avant de le faire nous-mêmes, on peut bien s’asseoir longtemps. Le courage politique commence dans les cuisines, pas dans les parlements.
On parle beaucoup de liberté ces temps-ci, mais bien peu de responsabilité. Or, l’une ne va pas sans l’autre. Un peuple qui délègue tout à l’État finit par lui déléguer aussi sa dignité. L’État n’a pas à être un père de substitution. Et tant qu’on en attend ça, on mérite les gouvernements qu’on a.
Apprendre à dire non
Refuser la déresponsabilisation, c’est refuser de vivre à genoux. C’est accepter que la liberté ait un prix : celui de nos propres décisions.
Mais surtout, c’est comprendre que toute tentative de société adulte repose sur une idée simple et exigeante : tu es responsable de ta vie, même quand ça fait mal, même quand ça ne marche pas, même quand ce n’est pas juste.
La facilité avec laquelle on évacue cette idée du débat public en dit long sur notre époque. On veut une justice sans effort, un revenu sans travail, un respect sans mérite. On rêve de dignité, mais on redoute la discipline qui l’accompagne. On glorifie la fragilité, on méprise l’effort. Et à force de tout attendre de l’État, on en oublie que c’est d’abord en soi que se joue la première bataille.
La vraie révolution, celle qui aurait un sens, ne viendra pas d’un programme ou d’un parti. Elle viendra quand chacun cessera de chercher des excuses et recommencera à se regarder dans le miroir avec exigence. Pas avec haine, ni avec honte, mais avec cette honnêteté brute qui forge les adultes et redresse les nations.
Parce qu’à la fin, ce n’est pas le système qui élève ou affaisse une société. C’est le nombre de citoyens capables de se tenir debout sans demander la permission.