IAN SÉNÉCHAL | Le débat sur le privé en santé : le choc des visions
La privatisation de certains aspects du système de santé québécois suscite un débat passionné, alimenté récemment par deux lettres d’opinion publiées dans Le Devoir. Dans un contexte où la CSN mène une campagne intitulée « Pas de profit sur la maladie », les discussions sur le rôle du secteur privé prennent une tournure politique et idéologique marquée. Cependant, la réplique cinglante de figures comme Renaud Brossard, de l’IEDM, et Vincent Geloso, économiste à George Mason University, offre une perspective rafraîchissante et appuyée sur des bases scientifiques solides, qui mérite l’attention.
Les critiques de la privatisation : un plaidoyer pour l’immobilisme public
Dans Le Devoir, deux articles récents ont défendu avec vigueur l’idée que la privatisation en santé constitue une menace pour l’efficacité et l’accessibilité des soins. Le premier, signé par un étudiant en économie, Antoine Rondeau, affirme qu’il n’existe aucune preuve scientifique crédible démontrant la supériorité du privé sur le public. Il avance que les hôpitaux privés réduisent leurs coûts en diminuant les effectifs, ce qui aurait un impact négatif sur la qualité des soins, en sélectionnant des patients moins compliqués à traiter et que la concurrence entre établissements de santé entraînerait des dépenses supplémentaires sans bénéfices évidents.
Dans son texte d’opinion intitulé « Cessons de nourrir la bête du privé en santé », Robert Comeau, président de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), critique sévèrement la place croissante du secteur privé dans le système de santé québécois. Selon lui, le privé agit comme un « parasite » qui s’alimente des failles du réseau public pour accroître ses profits. Il affirme que cette dynamique crée un cercle vicieux où le secteur public, affaibli par le départ de son personnel et une surcharge de travail, s’en remet de plus en plus au privé, aggravant ainsi ses propres difficultés.
Une réplique appuyée sur la rigueur scientifique
Renaud Brossard et Vincent Geloso n’ont pas tardé à réagir, dénonçant ce qu’ils perçoivent comme un dogmatisme aveugle et un refus de considérer les faits. Selon eux, les articles de Le Devoir omettent de mentionner une vaste littérature scientifique démontrant l’efficacité du privé dans certains contextes de santé.
Brossard, vice-président de l’IEDM, a partagé sur les réseaux sociaux une liste d’études scientifiques prouvant que le privé peut non seulement être efficace, mais également complémentaire au public dans un système bien structuré. Il a insisté sur le fait que la majorité des systèmes de santé universels en Europe, souvent cités comme modèles, intègrent une part significative de gestion privée.
Vincent Geloso, de son côté, a renforcé cet argument en partageant des études concrètes, notamment une analyse de l’efficacité hospitalière dans la région de Vénétie, en Italie, qui montre que les hôpitaux privés surpassent les publics en termes de productivité et de réduction des coûts. Il rappelle également que le débat ne porte pas sur une opposition binaire entre le public et le privé, mais sur l’incapacité de l’État à reconnaître les avantages qu’un modèle mixte peut offrir.
Une évidence internationale : le privé comme complément, pas comme adversaire
Des études comme celle de Tiemann et Schreyögg, analysant les hôpitaux allemands, montrent que la privatisation peut entraîner des gains d’efficacité significatifs tout en optimisant l’utilisation des ressources. Les résultats sont clairs : lorsque les hôpitaux publics sont convertis en structures privées à but lucratif, leur efficacité augmente de manière permanente, bien que cela s’accompagne parfois de réorganisations dans les effectifs.
Dans un contexte où le Québec fait face à une explosion des coûts en santé, la réflexion sur le rôle du privé est incontournable. L’idée d’un système mixte n’est pas nouvelle : des pays comme la Suède ou les Pays-Bas ont montré qu’il est possible d’intégrer efficacement le privé tout en conservant un haut niveau d’accessibilité et de qualité.
Sortir du dogme pour aborder la réalité
Le débat entourant la privatisation en santé ne doit pas se limiter à des slogans comme « Pas de profit sur la maladie ». Une analyse rationnelle et fondée sur des données probantes est essentielle pour répondre aux défis colossaux qui attendent le système de santé québécois.
Refuser de considérer les bénéfices potentiels du privé sous prétexte de préserver un modèle idéalisé de gestion publique revient à sacrifier l’innovation sur l’autel de l’idéologie. Il est possible de combiner le meilleur des deux mondes : un public fort et accessible, appuyé par un privé agile et efficient.
Alors que le Québec est à un tournant, il est temps de mettre fin à la polarisation stérile. Le véritable enjeu est d’assurer aux Québécois un système de santé durable, performant et adapté aux besoins de demain. Pour cela, il faudra peut-être oser emprunter des sentiers que d’autres ont déjà tracés avec succès.