Au Québec, le débat sur le financement de l’éducation revient constamment sur la place publique. Syndicats, politiciens et groupes d’intérêt dénoncent régulièrement des « coupes » dans le réseau scolaire, laissant entendre que le système souffre d’un sous-financement chronique. Or, les faits montrent une réalité bien différente. Depuis près de vingt ans, les dépenses en éducation augmentent sans interruption, et pourtant, les performances des élèves ne progressent pas. Comment expliquer ce paradoxe ? Et surtout, que révèle-t-il sur l’efficacité du modèle actuel ?
Des dépenses en hausse constante depuis 2006
Les données officielles confirment une tendance lourde : les dépenses par élève au Québec n’ont cessé d’augmenter depuis 2006, contredisant les discours sur d’éventuelles « coupes » dans le système éducatif. Selon les statistiques gouvernementales, les dépenses globales par élève pour l’éducation préscolaire, primaire et secondaire ont connu une progression notable.
De 2013-2014 à 2017-2018, le Québec a enregistré une hausse de 12,3% de ses dépenses par élève, surpassant l’Ontario (10,7%) et la moyenne canadienne (10,4%). Cette augmentation s’explique notamment par les « nombreuses mesures de réinvestissement et de développement », incluant les programmes de lutte contre le décrochage scolaire, la réduction de la taille des classes et l’amélioration des infrastructures.
Par ailleurs, les études de l’Institut Fraser montrent qu’entre 2012‑13 et 2019‑20, les dépenses globales d’éducation au Canada ont augmenté de 17,8 %, dont une part substantielle revenant au Québec, soit +29 % (plus que toute autre province).

Un paradoxe troublant : plus d’argent, résultats stagnants
Malgré cette injection massive de fonds, les résultats scolaires québécois stagnent. Les données du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) révèlent une situation préoccupante : en mathématiques, domaine crucial, le Québec se classe au 4e rang canadien et au 12e rang international en 2022.
Plus troublant encore, l’évolution des dépenses par élève et des résultats PISA entre 2006 et 2020 montre une corrélation inverse : pendant que les dépenses grimpaient de façon exponentielle, les scores en mathématiques demeuraient pratiquement inchangés, oscillant autour de la même moyenne.
L’analyse de Vincent Geloso : « Il faut cesser de mentir »
L’économiste Vincent Geloso de l’Institut économique de Montréal (IEDM) a publié une étude percutante en 2022 intitulée « Amélioration des résultats en éducation : il faut plus de choix, et non plus de dépenses ». Ses conclusions sont sans appel : « il est illusoire de penser que c’est uniquement par l’augmentation des dépenses gouvernementales en éducation qu’on améliorera la qualité des services ».
Geloso démontre que les dépenses par élève ont augmenté de manière « monotonique » depuis 2006, avec une hausse conservatrice de 18 % selon ses calculs les plus prudents, pouvant atteindre 32% selon d’autres méthodes de calcul. Cette réalité contredit frontalement les narratifs politiques sur les supposées « coupes » en éducation.
La thèse de Hanushek : l’échec des politiques axées sur les intrants
L’étude de Geloso s’appuie sur les travaux fondamentaux d’Eric Hanushek, notamment sa recherche de 2003 « The Failure of Input-based Schooling Policies » publiée dans The Economic Journal. Hanushek y démontre que « en se concentrant sur les intrants et en ignorant les incitations au sein des écoles, les ressources ont donné peu de résultats en termes d’amélioration générale des résultats des élèves ».
Cette analyse, citée par plus de 2 600 publications académiques, établit un constat accablant : les gouvernements du monde entier ont « considérablement augmenté les ressources consacrées » aux écoles sans obtenir d’amélioration significative de la performance étudiante.
Des dépenses record malgré la rhétorique des « coupes »
Ironiquement, pendant que certains dénoncent des « coupes » en éducation, les chiffres officiels révèlent l’inverse. En 2021-2022, malgré une légère baisse ponctuelle liée à la pandémie, les dépenses totales en éducation primaire et secondaire publique au Canada s’élevaient à 73,7 milliards de dollars, demeurant supérieures de 2,1 % aux niveaux prépandémie.
Au Québec spécifiquement, les dépenses en immobilisations ont atteint un « sommet inégalé » en 2021-2022, bondissant de 49,4 % pour totaliser 2,9 milliards de dollars. Cette explosion s’inscrit dans le Plan québécois des infrastructures 2021-2031, qui prévoit investir près de 20,9 milliards de dollars dans le réseau scolaire.
Vers une refonte du système : l’autonomie comme solution
Face à ce constat d’échec, Geloso préconise une approche radicalement différente : « le Québec gagnerait énormément à réduire les activités et les effectifs du ministère de l’Éducation, à réaffecter les fonds destinés aux écoles et à renforcer l’autonomie des écoles ».
Cette stratégie s’inspire du modèle américain, où les villes ayant accordé plus d’autonomie en éducation ont observé un « rapport coût-efficacité très avantageux ». Le principe est simple : l’État se concentre sur le financement, tandis que la prestation du service est orientée par les choix des parents.
Un défi de taille : changer de paradigme
L’équation est claire : plus d’argent ne garantit pas de meilleurs résultats scolaires. Les données québécoises et internationales convergent vers la même conclusion troublante : malgré des investissements massifs, les systèmes éducatifs publics traditionnels peinent à améliorer leurs performances.
La voie de l’avenir pourrait bien résider dans une révision fondamentale de la structure du système, privilégiant l’autonomie des établissements et le choix des parents plutôt que l’injection aveugle de fonds publics. Une leçon que le Québec tarde encore à intégrer, en dépit de ses dépenses record.