On nous promet une campagne provinciale 2026 qui sent la fourrure mouillée et la vieille bannière sortie du grenier. Le décor est planté, les micros sont chauds, et déjà l’on entend siffler les appels de la tribu. Qui sera le plus identitaire, qui gonflera le poitrail le plus haut, qui fera claquer les symboles le plus fort. Mon ami Ian Sénéchal l’a résumé dans l’épisode de la semaine passée de Ian et Frank, la prochaine élection sera un concours de caribous jusqu’à la fin. Voilà, rideau. Pendant que les partis répètent leur chorégraphie de saison, le réel, lui, s’incruste, obstiné. Les loyers explosent, l’accès à la propriété recule, la fiscalité asphyxie les salariés moyens, la dette s’alourdit, les jeunes regardent vers l’avenir avec une lassitude qu’on ne peut même plus appeler du cynisme, et le système de santé s’écroule sous son propre poids. Rien de cela ne s’accorde avec la petite musique de la campagne, alors on montera le volume des trompettes identitaires pour couvrir le bruit des casseroles.
Le Parti Québécois et la Coalition Avenir Québec se renverront la balle avec l’adresse d’une équipe qui s’entraîne à ce sport depuis des années. L’un jurera défendre l’âme de la nation, l’autre se posera en gardien pragmatique de la même étoffe, et chacun vendra son drapeau comme on vend un forfait de télé. Le fond sera interchangeable. On promettra plus de patrouilles, plus d’inspections, plus de programmes, plus d’argent des autres, parce que le nerf de la guerre est devenu l’illusion que l’État peut tout, tout le temps, sans contrepartie et sans calcul. La comptabilité viendra plus tard, après la fête, quand les convives seront repartis. Le Partenariat sacré entre la promesse facile et la carte de crédit des contribuables ne connaît ni gauche ni droite, seulement la recherche d’un frisson dans les courbes des sondages.
Le Parti Libéral du Québec jouera sa partition favorite, la hantise du référendum comme caisse de résonance. Quand on n’a pas d’offre claire sur la mobilité, le logement, la formation, la fiscalité et la productivité, on ressort le vieux fantôme pour faire sursauter la classe moyenne fatiguée. Ce n’est pas une stratégie, c’est un réflexe conditionné. Et cela marche assez souvent pour qu’on s’en contente. Pendant ce temps, Québec solidaire s’appliquera à verser des larmes d’indignation dès qu’un symbole classique est mentionné. On se disputera la pureté des intentions, on jugera les vertus des autres, on distribuera des anathèmes au lieu de chiffres, et l’on proposera des chèques sans se demander qui les encaisse et qui les paie.
Tout le monde promettra, car promettre est devenu la monnaie de l’époque. Promettre coûte peu, encaisser coûte cher, et personne ne veut être celui qui explique que la caisse n’est pas infinie. Les élus préfèrent parler de compassion financée par un guichet magique. Le réel, rebelle, demande autre chose. Il demande des réformes que l’on ne peut ni résumer en slogan ni gifler sur une affiche. Il demande qu’on libère l’offre de logement en cessant de courir après chaque permis comme si chaque projet était un sacrilège, qu’on accepte la densification là où l’infrastructure le permet, qu’on accélère les chantiers au lieu de sacraliser les processus qui les étouffent. Il demande qu’on cesse de tordre la fiscalité pour chaque lobby bien en vue et qu’on soulage le travail et l’épargne des ménages qui n’ont ni attaché de presse ni comité d’accueil.
La dette n’est pas un mal métaphysique, c’est une promesse faite au passé et envoyée au futur. Nous avons empilé des programmes ronds comme des pierres polies, et chaque gouvernement a trouvé poétique de les garder, d’en ajouter un, puis un autre. L’addition arrive toujours, il suffit d’attendre. L’avenir des jeunes est le premier poste de dépense invisible de cette illusion. On leur demandera de payer plus tard pour nos jouissances d’aujourd’hui, avec un marché de l’habitation obsédé par la rareté imposée et une économie où l’on subventionne l’entre soi au lieu de déréglementer l’accès et d’ouvrir la concurrence.
Le système de santé, parlons-en sans fard. Il s’écrase sous son propre poids, parce que tout le monde y a un peu rajouté sa couche, des gestionnaires aux conseils de normes, des ordres professionnels aux ministres pressés de laisser leur trace. Les files d’attente ne se résorbent pas avec des communiqués. Il faudra un courage que je ne vois chez aucun chef pour remettre la responsabilité au centre, financer l’activité plutôt que la structure, donner de l’air aux équipes, autoriser la performance, rompre avec la religion de la centralisation qui confond contrôle et résultat. Ce n’est pas spectaculaire, cela ne se crie pas sur un trottoir avec un micro, mais c’est ce qui marche partout où l’on respecte le temps du patient et l’intelligence du personnel.
Et pendant que le vrai pays attend, que feront nos champions. Ils s’accuseront les uns les autres d’être tièdes sur ceci ou trop chauds sur cela, ils feront mine de s’écharper sur des textes symboliques pour éviter les tableurs, ils se lanceront des chiffres ronds comme on lance des confettis, et ils glisseront autant que possible sur les affaires embarrassantes. La Commission Gallant offrira l’exemple commode, on la citera quand il faudra prouver que la politique est vertueuse et soucieuse de faire le ménage, puis on passera à autre chose, très vite, pour ne pas avoir à tirer le fil. Les scandales sont des miroirs, chacun choisit l’angle le plus flatteur pour s’y contempler.
On me répondra que c’est le jeu, que les campagnes ont toujours été bruyantes, que l’électeur sait trier. J’aimerais y croire, mais j’observe une indifférence qui n’est plus de la prudence, c’est une fatigue molle. Une partie non négligeable de l’électorat s’informe par bribes, consomme la politique comme on consomme une série, survole les programmes, se contente des promesses les plus sucrées, et s’étonne ensuite que la gueule de bois soit amère. L’ignorance n’est pas une insulte, c’est un constat. Elle s’entretient quand on confie le débat public à des slogans, quand les médias poursuivent le clinquant, quand les partis apprennent que la récompense vient plus vite à celui qui flatte qu’à celui qui explique. Dans ce décor, les pires politiciens prospèrent, ceux qui confondent la conviction avec l’audimat, la rigueur avec l’arrogance, la dépense avec la générosité.
La vraie tentation, pour qui aime la liberté individuelle et le gouvernement limité, serait de se retirer, de laisser ce concours de caribous aller à son terme, d’attendre que l’addition règle d’elle même l’ivresse. Ce serait une erreur. Le vide ne se remplit jamais du meilleur par enchantement, il se remplit du plus bruyant. Si le peuple ne se mêle pas du jeu, la prochaine législature sera pire que la dernière, plus lourde, plus coûteuse, plus tatillonne, et paradoxalement plus impuissante. La seule chose qu’un parti respecte encore, au fond, c’est un électeur qui pose une question précise et qui n’accorde pas son vote à crédit. D’où vient l’argent. Quel programme coupez vous pour financer celui que vous annoncez. Quel délai réaliste pour livrer. Quelles règles supprimez vous et à quelle date. Qui rendra des comptes et comment. Autant de questions qui ne nécessitent ni couleur de drapeau ni posture de matamore, seulement du sérieux.
Je n’écris pas cela pour distribuer des bons et des mauvais points, je n’ai pas foi dans l’innocence de l’un ni dans la perfidie de l’autre. J’écris parce que la politique québécoise semble tourner depuis trop longtemps autour d’une même obsession, la mise en scène identitaire comme paravent commode, alors que notre liberté se mesure dans la simplicité des règles, la légèreté du fardeau fiscal, l’ouverture des marchés, la responsabilité des décideurs et la confiance accordée aux individus. On peut aimer sa langue sans piétiner la logique, on peut défendre une culture sans bâillonner une réforme, on peut chanter un pays et quand même faire ses comptes.
Si l’élection de 2026 devient ce concours annoncé, alors au moins qu’il y ait des spectateurs exigeants. Le spectacle se corrige vite quand la salle cesse d’applaudir les pirouettes et réclame une démonstration de force réelle. Les loyers, la propriété, la fiscalité, la dette, la santé, l’avenir des jeunes, tout cela exige moins de grandiloquence et plus d’atelier. Que chacun descende de scène, qu’on allume la lumière crue des chiffres, et qu’on voie enfin qui sait travailler sans maquillage. Sans cela, on refera la même tournée l’an prochain, avec les mêmes chorégraphies, et le même silence gêné quand il faudra payer la facture.