L’économiste Vincent Geloso ne fait pas dans la demi-mesure. Professeur à l’Université George Mason et économiste sénior à l’Institut économique de Montréal, il vient de publier « Autour du libéralisme en 80 idées » et lance simultanément une campagne audacieuse : éduquer les 125 députés de l’Assemblée nationale du Québec, un livre à la fois.
Un héritage intellectuel qui remonte aux années 1990
L’initiative de Geloso s’inscrit dans une tradition québécoise fascinante qui tient du miracle intellectuel. En 1990, le mouvement libéral québécois entier tenait dans un appartement d’Outremont.
Cette année-là, Pierre Lemieux – « le seul libéral vraiment classique qui s’exprime publiquement » à l’époque – reçoit quatre jeunes hommes dans son salon : Pierre Desrochers, Michel Kelly-Gagnon, Martin Masse et Éric Duhaime. Cette rencontre, que Geloso qualifie avec ironie de « la genèse de tous les maux », marque l’acte fondateur du libéralisme québécois moderne.
« Au début, tu avais un radeau avec une seule personne, puis c’était Pierre Lemieux », explique Geloso. « Mais maintenant, c’est une belle petite frégate, bien équipée, avec un équipage qui est certes modeste, mais très vaillant ».
Cette première génération a formé une seconde, dont fait partie l’auteur, initié par Desrochers, Masse et Kelly-Gagnon. Résultat : d’un homme seul en 1990, le mouvement compte aujourd’hui « peut-être une soixantaine de libéraux au Québec qui s’expriment publiquement ».
L’objectif du livre et de l’initiative « Éduque ton député » ? Éviter que le Québec ne retourne au « désert intellectuel qui avait suivi la Deuxième Guerre mondiale ».
Un livre pensé pour la transmission
« Autour du libéralisme en 80 idées » se distingue par sa conception pratique. L’ouvrage de 260 pages propose 80 textes courts et indépendants, permettant une lecture modulaire. « Tu peux en lire un quand ça te tente, où tu veux. Il n’y a aucun ordre dans lequel y aller », explique Geloso.
La structure du livre reflète une approche pédagogique réfléchie :
- Définition du libéralisme : les fondements théoriques
- Liberté économique : ses liens avec le développement, la réduction de la pauvreté et l’amélioration des conditions de vie
- Mythes de l’étatisme : déconstruction des idées reçues sur l’intervention gouvernementale
- Politiques publiques libérales : propositions concrètes pour le Québec
Des propositions qui ne manquent pas d’audace
Geloso ne se contente pas de théorie. Son livre propose des mesures concrètes qui feraient bondir plus d’un député : privatisation du transport en commun, de Postes Canada, de Radio-Canada et de Télé-Québec, abolition de la gestion de l’offre, dérèglementation du marché du logement, ou encore l’instauration d’un « prix pour l’immigration ».
L’économiste va jusqu’à suggérer d’« abolir le ministère de Fitzgibbon » – une référence au ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon – et d’éliminer la taxe sur le revenu des entreprises. Des propositions qui promettent des débats animés à l’Assemblée nationale.
« Éduque ton député » : une campagne avec une pointe d’ironie
L’initiative « Éduque ton député » révèle le sens de l’humour de Geloso. La campagne de financement participatif vise à envoyer le livre aux 125 députés provinciaux, en commençant par ceux du Parti libéral – « ce serait tout de même dommage qu’ils n’aient pas lu un mot de libéralisme… ».
Le mécanisme est ingénieux : chaque don équivalant au prix d’un livre permet d’en faire parvenir un exemplaire à un élu. Pour les députés libéraux, Geloso promet de « doubler la mise » en envoyant le livre à un second député libéral. Une stratégie qu’il qualifie d’« œuvre de charité » pour « aider les plus malheureux à l’Assemblée nationale ».
Un produit soigné qui défie les préjugés
Geloso a mis l’accent sur l’esthétique. La couverture, réalisée par Olivier Ballou, « un autre exilé québécois à Washington », arbore une montgolfière en clin d’œil à Jules Verne (autour du monde en 80 jours).
L’intérieur, codé en LaTeX, témoigne d’un souci du détail qui tranche avec les publications habituelles du genre.
Des critiques qui ne manquent pas de piquant
Les commentaires sur l’ouvrage révèlent une approche décalée de la promotion littéraire. Aux côtés d’éloges conventionnels de Denis Julien, économiste, et de Bryan Caplan, professeur à George Mason, figurent des « critiques » attribuées à Karl Marx, qualifié de « philosophe sans emploi », et à Benito Mussolini, décrit comme « intellectuel italien frustré », tous deux déclarant : « Oh non, le libéralisme c’est mal ».
Cette approche humoristique illustre la philosophie de Geloso : « Le libéralisme n’a pas besoin d’un guide d’autodéfense parce qu’il parle très fort par lui-même. Ce qu’il a besoin, c’est d’être découvert et apprécié comme si c’était un vin que tu dois laisser mûrir ».
Un engagement philanthropique cohérent
L’initiative dépasse le simple exercice de promotion. Geloso s’engage à reverser les royautés issues de la campagne à l’Institut économique de Montréal et à l’Institute for Justice, une organisation américaine qui défend « pro-bono, la défense d’individus dont les libertés économiques et civiles sont brimées par l’État ».
Cette démarche illustre sa conviction que « le libéralisme est une idéologie mature qui nécessite une certaine maturité pour comprendre ». Un pari audacieux dans une société où, selon lui, ces idées sont « mal comprises, critiquées, voire méprisées ».
L’avenir d’un mouvement en construction
Avec plus de 100 articles scientifiques publiés dans des revues prestigieuses et une carrière académique établie, Geloso dispose de la crédibilité nécessaire pour porter ce projet ambitieux. Son objectif est clair : éviter que le Québec ne retourne au « désert intellectuel qui avait suivi la Deuxième Guerre mondiale ».
L’initiative « Éduque ton député » représente ainsi plus qu’une simple campagne de promotion : c’est un pari sur la capacité du débat d’idées à transformer la société québécoise. Reste à voir si les 125 députés de l’Assemblée nationale seront réceptifs à cette « invitation à explorer plusieurs aspects de la pensée libérale ».
Dans un contexte où les débats économiques se polarisent souvent, l’approche de Geloso mise sur la pédagogie plutôt que sur la confrontation. Une stratégie qui pourrait bien surprendre dans le paysage politique québécois.