« Ce jour-là […] la jeune fille qui tenait une pancarte […] aura peut-être l’occasion de célébrer le triomphe de sa « reine ». »
Il est parfois pertinent de revenir en arrière pour constater à quel point #lesexperts peuvent être dans les patates. Dans Madame America : 100 clés pour comprendre Hillary Clinton, Richard Hétu et Alexandre Sirois offrent une analyse absolument fantasmagorique de la trajectoire politique et personnelle d’Hillary Clinton.
Publié en 2016, le livre est imprégné d’une anticipation vibrante : celle de voir Clinton devenir la première femme présidente des États-Unis. Si l’ouvrage éclaire efficacement certains aspects de sa carrière et de sa personnalité, il dresse un portrait idéalisé, parfois irréaliste, de son potentiel en tant que leader. À la lumière de l’élection de Donald Trump, plusieurs projections avancées dans le texte apparaissent maintenant clairement exagérées, voire déconnectées des réalités politiques et sociales américaines.
Hillary Clinton, symbole d’un moment historique
Dès l’introduction, les auteurs expriment leur conviction qu’Hillary Clinton va marquer un tournant décisif dans l’histoire américaine :
« Ce jour-là […] la jeune fille qui tenait une pancarte […] aura peut-être l’occasion de célébrer le triomphe de sa « reine ». »
Cette phrase illustre l’enthousiasme et l’attente autour de sa candidature.
Hétu et Sirois présentent Clinton comme une figure pionnière de la lutte pour l’égalité des sexes : « Il est plus que temps que les femmes prennent la place qui leur revient, côte à côte avec les hommes. » Cette prédiction repose sur l’idée qu’une victoire d’Hillary aurait propulsé une révolution féminine en politique, transformant la perception du leadership au sommet de l’État. Elle repose également sur l’ignorance totale de la manière avec laquelle Mme Clinton traita les femmes dans l’entourage de son mari, mais cela demeure un autre sujet…
Les espoirs semblent donc démesurés. L’élection de 2016 a révélé une résistance profonde aux idées progressistes incarnées (hypocritement ?) par Clinton. Malgré ses qualités évidentes de politicienne, Clinton a été perçue par beaucoup comme une représentante de l’élite politique, ce qui a limité sa capacité à unir les Américains.
Une diplomate idéale ?
Les auteurs saluent largement le rôle de Clinton sur la scène internationale. Ils citent ses succès en tant que secrétaire d’État, notamment son engagement pour « restaurer la crédibilité des États-Unis sur la scène mondiale » et « réparer les relations avec leurs alliés traditionnels ». Hétu et Sirois la décrivent comme une leader capable de mener une politique étrangère équilibrée et multilatérale, anticipant qu’elle aurait consolidé l’influence des États-Unis dans un monde multipolaire…
Or, cette vision ignore les critiques souvent formulées à son égard, notamment son rôle dans l’intervention en Libye, perçue par certains comme précipitée et mal gérée. Le livre ne mentionne pas non plus les polémiques autour des e-mails gouvernementaux de Clinton, qui ont alimenté la méfiance envers elle sur la scène internationale. Un aspect sur lequel Donald Trump a capitalisé, en particulier lors des débats télévisés avec la fameuse phrase : «Because You’d be in jail»
Des réformes sociales ambitieuses, mais irréalisables
Les auteurs avancent que Clinton aurait consolidé les acquis de l’administration Obama, notamment sur la santé et les droits des minorités. Ils la décrivent comme une figure rassembleuse et progressiste, citant sa propre déclaration :
« Ne laissez jamais personne vous dire que vous ne pouvez pas réussir parce que vous êtes une femme. »
Ils prévoient aussi que son élection aurait symbolisé une avancée majeure pour l’équité sociale. L’un des chapitres la positionne comme « l’architecte d’une Amérique moderne, inclusive et tournée vers l’avenir ».
Pourtant, cette projection idéaliste ne tient pas compte des fractures culturelles profondes qui traversent les États-Unis. Son projet de présidence aurait probablement été freiné par l’opposition républicaine et un climat politique hostile, comme l’ont montré les années Trump. Il demeure très improbable qu’une présidence Clinton aurait su rallier une majorité (au Congrès et au Sénat) dans la poursuite d’un agenda commun axé sur des réformes de gauche.
Un portrait unidimensionnel
Dans l’ensemble, Madame America reflète davantage les espoirs placés en Hillary Clinton que les réalités auxquelles elle aurait été confrontée. La phrase « Hillary est notre reine », mise en avant dans l’introduction, symbolise cet optimisme débordant, mais le recul montre que cette image est loin d’être universelle. Si Clinton est une reine, c’est peut-être plus à Marie-Antoinette qu’autre chose qu’elle ressemblait.
Le livre échoue à saisir les critiques importantes qui entouraient sa candidature, notamment la perception d’un manque d’authenticité ou de ses liens avec l’élite économique et politique. Il ne saisi pas non plus les critiques légitime entourant une primaire que plusieurs ont jugée arrangée en défaveur de Bernie Sanders. Ces omissions rendent l’analyse moins équilibrée et moins crédible.
Avec le recul, il s’agit autant d’un témoignage sur l’espoir que d’un miroir des fractures qui divisent toujours profondément les États-Unis.
Il est intéressant de noter que la même rhétorique empreinte de wishful thinking est à l’oeuvre 8 ans plus tard avec la candidature de Kamala Harris, avec le même résultat…