Est-ce qu’Elon Musk va faire la même erreur que Ross Perot?
J’en parlais avec Yannick Marceau et Pascale Cv, mais la « menace » d’Elon Musk de fonder un nouveau parti politique pour battre Trump n’est pas unique dans l’histoire. Bien qu’il y aille des différences, le America Party est très proche de ce que Ross Perot a voulu faire en 1992.
À l’époque, on sortait d’un mandat relativement positif de George H. W. Bush (le père là). L’Amérique s’était impliquée directement dans la première guerre du Golfe pour sortir Saddam Hussein du Koweït. La Guerre froide était récemment terminée, l’URSS n’était plus qu’un mauvais souvenir, all was well in the kingdom.
Par contre, à l’approche de l’élection, la situation intérieure des États-Unis était moins rose. On était en récession depuis 1990 et le chômage était à la hausse. Bush avait promis durant la campagne de 1988 de ne pas imposer de nouvelles taxes avec son fameux « Read my lips. No new taxes » avant de faire grimper les impôts en 1990.
En gros, les États-Unis dans le monde, ça allait bien, mais les États-Unis à la maison, ça n’allait pas pantoute.
Ross Perot était un milliardaire des technologies (tiens donc!) qui en avait assez de voir le pays être scrappé (à ses yeux en tout cas) par les politiciens. Il disait notamment « If I ran my companies the way Washington runs the country, I’d be broke. »
En gros, il était conservateur fiscal sur la frise du libertarisme. Il était opposé au libre-échange et surtout contre l’ALENA, le fameux traité économique nord-américain que Trump a jeté aux poubelles durant son premier mandat.
Bref, Perot voulait que ça change. Comme président sortant relativement populaire, Bush était le candidat républicain évident. Bien sûr, la plateforme progressiste démocrate n’était pas très compatible. Perot a donc décidé de « runner » seul pour la présidence.
Son slogan officieux était « I’m all ears », je suis à l’écoute. C’était en réaction à un Washington qui, selon lui, n’écoutait plus le vrai monde. Il promettait de ramener le pays sur les rails et contrôler la dette. Comme Musk en ce moment.
Perot arrivait à l’époque où la télé en direct et en continu prenait de plus en plus de place. CNN avait explosé avec sa couverture en direct de la guerre du Golfe. Cette nouvelle dynamique bousculait les habitudes politiques et il a su en tirer profit.
Soudainement, la télé n’était plus passive, mais un moyen proactif de passer ses messages.
Perot a été visionnaire et il a acheté du gros temps d’antenne pour exposer ses positions durant les périodes de grande écoute. Pendant des 30 minutes complètes, il exposait ses idées comme un professeur et vulgarisait pourquoi il devait tout changer au gouvernement. Son message résonnait assez bien.
L’élection a été particulière. Le candidat démocrate était un jeune gouverneur de l’Arkansas nommé Bill Clinton qui amenait un vent de fraîcheur dans le débat. Charismatique, il était l’alternative aux vieux débats stériles de la Guerre froide. En gros, il était l’antithèse de Bush.
Après deux violentes défaites contre les républicains, Clinton a repositionné le parti plus au centre et moins dans la revendication. Son slogan iconique était « It’s the economy, stupid! », comme quoi l’économie était centrale pour le pays, beaucoup plus que les affaires étrangères.
George Bush misait plutôt sur la continuité. Bien que le pays allait mal, il surfait sur sa crédibilité comme ancien dirigeant de la CIA et comme président tueur de l’empire soviétique. Il jurait de ramener le pays sur le droit chemin.
La table était mise pour un combat à trois épique pour la présidence. La campagne a été assez trash et les attaques personnelles fusaient. Les médias étaient le nouveau champs de bataille politique.
Finalement, Clinton s’est faufilé entre Bush et Perot. Ce dernier a quand même récolté presque 19 % des voix, près de 20M de votes au pays, un résultat historique pour un troisième parti. Par contre, il n’a pas récolté de grand électeur. Clinton a gagné avec un retentissant 370 grands électeurs et un maigre 43 % des voix.
Plusieurs ont accusé Perot d’avoir divisé le vote républicain. C’est difficile de dire le contraire puisqu’avec une plateforme aussi conservatrice, il serait douteux de penser que ses électeurs auraient voté pour les démocrates en son absence. Bush a terminé la course avec 37,4 % et il aurait gagné facilement avec une fraction des votes « volés » par Perot.
Pour la petite histoire, Ross Perot a fait la course présidentielle une deuxième fois en 1996 sous la bannière de son parti, le Reform Party. Il a récolté 8,4 % des votes et a disparu progressivement de la vie publique par la suite. Il a vendu sa compagnie à Dell pour 3,9 G$ en 2009 et est décédé en 2019 à 89 ans dans son Texas natal.
Si vous êtes encore ici, pourquoi est-ce que je parle de tout ça? Parce que l’idée de Musk ne mènera à rien.
Un troisième parti qui part de zéro n’aura pas beaucoup de chance de battre Trump dans un an et demi lors des élections de mi-mandat. Musk n’est pas citoyen américain et ne pourra pas runner pour la présidentielle en 2028. Malgré toute sa fortune, il ne pourra pas acheter les élections.
Sa seule chance est de « créer » un candidat et le soutenir avec sa machine de réseaux sociaux sur X et Grok. Une fois en vie, ce grand challenger pourrait faire la course à la chefferie des républicains et possiblement voler la candidature pour la prochaine élection. C’est à mes yeux la seule voie de passage.
Perot était riche comme Crésus et il n’a pas su imposer sa vision conservatrice à une époque assez favorable à l’idée. Musk semble vouloir faire pareil au moment où Trump et son culte sont encore tout puissant et bien en selle. C’est, disons-le, plutôt ambitieux, mais ça reste divertissant!